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L'INGENU QUI ROULA, le livre de sa vie, par Henri Brilet

7 avril 2010

L'INGENU QUI ROULA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au devoir de mémoire

répond le Droit de dire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aux neufs bornes milliaires

Qui jalonnèrent les deux rives

D’une voie domitienne

Droite mais pentée

Plaidoyer colonial

 

 

L’histoire qui va suivre n’est pas anodine.

Elle raconte la vie de gens de chez nous que vous n’aimez pas trop ; des aventuriers qui le furent quelquefois malgré eux et ont quitté notre beau pays si riche et son équilibre géographiquement tempéré pour tenter une vie étrange. A contrario, vous vous êtes accordé le devoir onéreux d’accueillir des gens venus de ces pays chauds indifférenciés que vous croyez connaître et qui penseraient comme vous.

Vous les vengerez, souvent par générosité, d’une misère incoercible qui est la leur, mais il semble que vous rêvez !

L’histoire vraie des uns et des autres, que nous racontons dans ce livre est toujours actuelle car on ne change pas les modes de vie par mimétisme, scolarité et une pichenette démocratique. Nous avons ressorti d’un grimoire les réflexions d’un auvergnat, Roger, qui en des temps déjà bien lointains vécut sa première aventure. Vous retrouverez ensuite, trente ans après, les mêmes histoires quand Raoul, son fils prit la relève. Rien n’a changé.

" Il fait chaud sous la moustiquaire, et le jour se lève. La sentinelle vient de sonner le gong qui va animer ce matin moite, en cette saison des pluies de fin 1927.

Les travailleurs seront dans un quart d’heure à l’appel et je vais reprendre le rythme de vie que j’ai depuis deux mois, date d’arrivée dans ce pays où pour ma part, j’ai tout à faire avec rien. Le système D est en application complète, et ici, je ne dois pas céder à la faiblesse.

Enfin ! J’ai pu réaliser le rêve que je crois toujours eu, de vivre dans un pays où je pourrai donner cours à ma vitalité.

A environ 120 km à vol d’oiseau de la Côte occidentale du Congo et à 70 km de la ligne de chemin de fer Kinshasa-Matadi, j’ai la tâche de créer un poste de transit pour ma Société Commerciale.

Région riche en produits naturels faciles à exploiter, les palmiers fournissant l’huile et les noix palmistes, feront l’essentiel du commerce à créer. Je dois aussi aménager une plantation de sisal qui servira à fabriquer des cordages.

Le programme comprend la construction des bâtiments de la Direction, ainsi que du garage et le stockage des poudres et carburants.

L’appel terminé, je distribue les tâches; les uns fabriquent les briques moulées dans de petites caisses, tandis que les femmes procèdent au malaxage de la terre rouge mouillée au son du tam-tam qui les fait danser.

Deux équipes sont parties couper les poteaux et les bambous pour la construction des cases en terre battue avec leurs charpentes ; une équipe de scieurs de long va fabriquer les planches depuis une fosse ouverte pour le scieur du fond.

Une autre équipe a traversé le fleuve pour ramener les cailloux de calcaire qui vont servir à fabriquer la chaux.

Le reste des quatre-vingts ouvriers travaille au déforestage de la piste routière.

Quant à moi, après une bonne douche, j’attaque le montage d’un des camions Chevrolet arrivé en pièces détachées par le train et transporté à dos d’homme jusqu’ici. J’ai avec moi cinq aides indigènes qui m’ont semblé plus aptes à ce travail. J’essaie avec ces garçons d’apprendre les mots courants de la langue Kikongo car il est vraiment indispensable que je me mette vite à ce dialecte pour obtenir un meilleur résultat.

Après avoir travaillé intensément toute la journée, je dormais lorsque j’eus l’impression d’une présence. Je soulevai la moustiquaire, et attrapai un bras. Sautant du lit, je saisis un sein de femme bien fait. Alors, rassuré quand à la suite à donner à cette visite je fis ce que tout homme seul depuis plusieurs mois devait faire.

Avant le jour, elle a filé aussi discrètement qu’elle était venue. Le lendemain j’ai bien essayé de reconnaître cette jeune fille, une " n’doumba ", mais en vain.

Brave Roger, colonialiste humaniste, tu ébauches déjà les histoires que l’ingénu, ton fils va vivre, entre 30 ans et 60 ans après.

Au fait, les époques difficiles que nous connaissons maintenant devraient permettre à un homme jeune, orphelin, ayant raté ses études, de ne plus limiter sa vie au conseil des "psys ", voire des avocats qui pleurnicheront sur son sort, mais de découvrir des horizons passionnants et des hommes différents. Il commentera sa nouvelle vie pour que 90 ans après on sache objectivement ce qui se passe là-bas, et si cela a changé dans le sens souhaitable, pour notre satisfaction aveugle.

Seul conseil d’un ancien : ajouter maintenant une kalachnikov à son équipement de toilette, et une bonne bière qui peut aider à franchir la douane sans encombre.

Une enfance marquée

La rude Auvergne est chapeautée par le calme bourbonnais, pays de transition facile à vivre, où la relation se nimbe de mystère et de pudeur. On ne parle pas de grands sujets, chez nous, on cause, on devise, on devine, on comprend l’autre à demi-mot, on y décèle les sentiments, d’un regard dur ou mouillé.

Entre la faille de la vallée, cassurée de venues thermales et le socle du plateau, serpente une route en lacets : la côte des Justices. On sait, dans la sagesse populaire que le bourricot aura plus de peine que le cheval du Maître pour arriver au sommet.

Nous n’allons pas épiloguer là-dessus.

En ce dimanche d’automne, la côte était noire de monde, un public qui s’était agglutiné aux épingles des lacets ; on venait y voir la course de voitures et surtout l’enfant du pays, le mécanicien du centre ville, une tête brûlée de vingt-cinq ans, le Roger. Il tenait à montrer sa maîtrise des fins réglages qui lui donnait la confiance des notables, médecins et notaires. La réussite devait le payer de retour.

Aussi, quand on entendit le vrombissement de la Delage, la tension devint encore plus palpable et c’est alors le cri d’une foule surprise, effrayée et ravie de vivre un instant d’émotion qui jaillit :

- La roue, regarde la roue, mon dieu la roue… !

Cette roue gauche qui avait cassé et roulait vite au ravin, devint en une seconde le moment fort et pathétique que tout spectateur redoute et espère.

Dans un éclair, la voiture s’engouffra dans le fossé, fumée, poussière et boue confondues puis en jaillit un zombie, le Roger qui jeta rageusement ses gants à terre, le serre-tête suivit dans un dégrafage passionné. Il était visé par des centaines d’yeux et comme tout champion sorti indemne d’un coup du sort, il trépigna. C’était beau comme l’antique.

La voiture ravagée retourna au garage sur un chariot hippomobile.

De sa fenêtre du premier étage, Antoine, le père, le vieux, scrutait l’arrivée, l’œil noir et les lèvres pincées. Il n’avait pas d’âge moyen car à cette époque, les générations passaient vite. Il venait de la haute-Auvergne, du côté de Brioude.

 

Dans sa famille de paysans, on ne savait pas trop compter entre le nombre d’enfants et le nombre de sillons disponibles de terre ingrate à leur partager ; alors à moins de vingt ans, il prit son baluchon et descendit jusqu’aux riches plaines de la vallée en longeant l’Allier et la route des saumons. Les filles y étaient réputées douces et laiteuses comme les charolaises blanches qui embouchaient dans l’herbe grasse. Il en choisit une au pays des Vérités : vous savez bien " un quart d’heure avant sa mort, Monsieur de Lapalisse faisait encore envie " Envie à qui, de quoi ? On ne saura jamais.

Il débuta comme garçon de café, acheta le comptoir, puis la maison et les maisons d’alentour dont une bonne grange qui devint garage, avec ses deux pompes rutilantes, dont chaque bocal alternativement se remplissait d’essence jaune.

Pour un bougnat, c’était la fortune, sou après sou.

Son fils Roger était l’espoir de son avenir. Il avait été formé à la mécanique à coups d’outils dans les jambes et devint bon ouvrier. Pourquoi à vingt ans alla-t-il s’amouracher de la fille du chef de gare qui avait le même âge ? Elle était gaie, pétulante, et mordait enfin dans la vie, après une enfance passée au milieu des affiches jaunes des horaires des tacots. Liette s’habillait chic, en émule de Coco Chanel qui avait commencé ici, se coiffait de chapeaux cloches et son collier comme ses fanfreluches tournoyaient au rythme des Charlestons toujours endiablés.

Il faut bien dire que la Grande Guerre était terminée depuis huit ans, que le temps du deuil était passé et qu’on se lançait dans les années folles, pour retrouver un sens à la vie et la joie de la vivre.

La fête ne dura pas longtemps. Le profit du garage y passait et Antoine, le père avait dû prêter devant notaire vingt-cinq mille francs or pour sauver la situation. Roger remboursait scrupuleusement mille francs par mois et on en était au neuvième lors de l’accident de la voiture. Pour comble, Liette attendait un enfant ! Alors, de silence en non-dit, dans une rancœur contenue, la situation se tendait. Une solution devait éclater comme un abcès mûr. Lorsque l’enfant naquit, Roger, très responsable, signa d’une main ferme à la mairie pour bien confirmer sa paternité, prit sa valise et disparu, seul.

Les chemins de fer P.LM. formaient une grande famille où un chef de gare a ses petites entrées. Le guichetier avoua qu’un homme jeune et grand avait pris un billet pour Marseille.

La Liette pleura longtemps, son bébé dans les bras.

L’Antoine reprit son garage gaspillé, vendit tout en viager et mourut. C’est triste comme un mélodrame dans la "Veillée des Familles. " Le feuilleton n’est pas fini !

L’enfant était né un jour d’hiver dans la maison familiale maternelle. On l’appela Raoul, ce qui est assez combatif. Liette rejoignit, honteuse, la gare de ses parents. Les trains et leur sifflet strident ont bercé la prime enfance de Raoul l’ingénu.

Son premier souvenir est celui d’un bon docteur qui lui piquait le ventre avec une grande aiguille d’or. Il était atteint du "croup", diphtérie d’époque. Ce docteur avait une grande barbe et depuis il redoute les barbus. Ils cachent leurs sentiments derrière cette pilosité. L’aiguille, qu’il cachait d’abord, servait longtemps, car elle était inoxydable.

Son souvenir suivant est la promenade assidue qu’il faisait entre les rails de la gare, guidé par une main secourable, de traverse en traverse, il allait et revenait. Liette, sa mère, le regardait de sa fenêtre ; elle était atteinte de tuberculose et se mourrait malgré les potions d’hémoglobine, le sang de bœuf qu’on lui administrait et les vapeurs d’éther qu’elle prenait en cachette pour rafraîchir ses poumons brulants. Aussi, on éloigna l’enfant qui poussant trop vite et fragile, risquait de contracter la bactérie.

On l’inscrivit à l’école des Frères pour l’éloigner de la contagion. Il avait trois ans et les maternelles n’existaient pas encore. Un vieux maître avec une calotte de velours sur la tête, une blouse grise et une règle pour taper sur les doigts lui apprit les rudiments.

A cinq ans, il lisait la MONTAGNE, journal régional, avec des intonations valables qui surprenaient les voisins intrigués.

La mère était morte depuis longtemps et les grands-parents maternels qui devaient l’élever maintenant, quittèrent la gare de leur malheur, pour une retraite active.

Le grand-père ouvrit un cabinet d’assurances dans sa maison neuve. Les grandes plaques émaillées représentant des cathédrales comme Chartres n’égayaient pas beaucoup une éducation spartiate.

Raoul l’ingénu s’appliquait maintenant à l’école publique, où l’on n’aimait pas trop les têtes trop sérieuses, surdouées, comme on dit.

La grand-mère venait le chercher après l’école avec une badine de noisetier pour se faire craindre car il poussait des cailloux qui abimaient ses galoches. Elle ne savait pas lire et à la nuit tombée, le grand-père lisait à haute voix la " Veillée des Familles ", pendant que le poêle "mirus", au mica feuilleté laissait entrevoir les grandes flammèches des bûches de bois qui éclataient. C’était chaleureux comme l’est tout havre familial et on était heureux

Il attendit quatre ans dans la même classe pour passer son certificat d’études à douze ans et pleura à chaudes larmes sous les reproches : il n’était pas le premier du canton, comme le pensait son instituteur orgueilleux de ses élèves, mais le deuxième.

Son père Roger réapparut par hasard à sa première communion. Dans les familles, la rancœur muette laisse place à la raison, muette aussi. L’ingénu contrariait la vieillesse de ses grands parents et les frères de la défunte Liette ne cachaient pas leur colère, brutalement, quelquefois. Un père doit prendre la charge de son fils, ce qu’il fit enfin.

Roger revenait du Congo, racontait d’étranges aventures et offrait à ses hôtes, un crâne de gorille, une peau de boa longue de plus de dix mètres, des petits caïmans naturalisés, des " Goliath ", coléoptères noirs et blancs, grands comme la main. L’ingénu aimait sentir cette odeur étrange, qui venait de pays neufs.

Roger se remaria avec une amie de petite enfance, Yvonne, étrange roman, secret de famille, secret de femmes, on ne saura jamais !

Raoul entra comme interne au lycée Jules Ferry.

Les surveillants le regardaient avec curiosité ; il était reçu premier à l’entrée en sixième sur près de deux cents élèves. Cela ne dura pas ! Il n’aimait pas ce grand dortoir où des ombres chinoises illustraient des jeux pervers et les pions devenaient les croupiers d’autres jeux un peu plus innocents.

Et ce fut la " drôle de guerre. "

Un avion Morane décrivait ses arabesques dans le ciel, quelle maîtrise !

On formait au lycée des défilés pour singer l’armée honnie. Des copains juifs de haute lignée organisaient le spectacle : mèche et moustache comprises.

Nous étions les plus forts et nous allions " pendre notre linge sur la ligne Siegfried ! "

Puis tout s’effondra. L’armée française fuyait, abandonnant un matériel incroyable, de lourdes remorques chargées à raz bord de matériel de transmission dans lesquelles on piquait sans crainte. Parmi la noria de réfugiés fuyant avec toujours un matelas sur la guimbarde, un homme venu de Lorraine en blouse grise sortit d’une fourgonnette en pleurant et donna quelques sous à deux soldats en bande molletière, simplement parce qu’ils avaient gardé leur fusil. D’autres soldats dont beaucoup avaient largué leur arme au fossé, ont attendu leur titre de démobilisation pour rentrer chez eux. Ils sont revenus cinq ans après.

Les premiers allemands, jeunes, se pointèrent dans une avant-garde bruyante.

On regardait virevolter les side-cars sur la place du village. L’un d’eux manqua sa démonstration de voltige et s’écrasa au sol. Ses copains riaient, l’ingénu aussi. Un de ces méchants soldats lui donna une tablette de chocolat qu’il cacha sur une poutre car elle devait être empoisonnée. Deux ans après, ayant faim, il la croqua avec prudence. C’était bon.

Roger, son père, reçu l’ordre de rejoindre son travail et se retrouva ainsi bloqué pendant toute la guerre, seul, en Afrique équatoriale, qui était en France libre. Le courrier ne passait plus, pour régler les affaires de famille.

Ce fut la fin de l’internat pour Raoul, bloqué aussi dans ses études, qui reprit sa petite chambre mansardée chez ses grands-parents.

Le grand-père n’avait plus d’essence pour sa voiture bleue d’époque aux angles vifs : une Renault poussive pour visiter sa clientèle d’assurés.

Les jours sans études à l’Ecole Complémentaire, Raoul aidait le plus possible, en partant à bicyclette encaisser les quittances dans les campagnes ; certains paysans rustauds signaient comme des ministres, ce qui l’ étonnait beaucoup.

Il ramenait de ces tournées quelques œufs, un litre de lait bourru encore chaud ou un morceau de lard sortant d’un grand saloir de grès au jus rouge. Il était fier de sa récolte car à cette époque, on avait faim.

Pour son argent de poche qui ne manqua jamais, il cueillait des fruits sauvages : mûres, framboises et airelles qui partaient en Suisse, lui disait-on!

Un jour qu’il était seul à la campagne, un grondement devenant vite énorme le figea sur son vélo. Des centaines d’avions lourds passaient sur sa tête. Ils étaient si gros qu’on les croyait à basse altitude. Il en compta, par vagues c’est facile, sept cent cinquante. En sortaient des tracts aux couleurs vives américaines et de petits serpentins d’aluminium, comme pour une fête. Les serpentins devaient fausser la lecture des premiers radars mais il l’apprit plus tard. Avec une telle puissance, nous allions en sortir, mais quand ?

Un autre jour, curieux, il passa à VICHY devant l’hôtel du Parc. Une grande animation marquait la sortie d’une haute personnalité et l’importance de ceux qui nous gouvernent. L’ingénu curieux regardait, lorsqu’il reçut une terrible gifle qui envoya voler son béret. Deux miliciens ricanants se tenaient derrière lui et le punissaient d’avoir manqué de respect, il n’a jamais su à qui ?

MAIS, IMAGINONS UN SCENARIO :

Au lieu de s’enfuir, apeuré et choqué, après cette gifle, il se serait dirigé vers l’un de ces groupes virulents et aurait posé des questions à un jeune adulte au teint blême, coiffé d’un feutre à larges bords.

-Quel est ce personnage ? Le Maréchal PETAIN ?

- Non, répond l’autre. Le Maréchal a plus de 85 ans et on ménage ses émotions. C’est un bon guide pour les français, qu’il faut entretenir précieusement en forme. Outre son glorieux passé militaire, il arrive d’un poste d’Ambassadeur de FRANCE en ESPAGNE où il a pu juger de l’état désastreux de ce pays, repris en mains par un Général expérimenté : FRANCO. Notre pays est maintenant aussi dans un piteux état.

- Alors, est-ce le premier ministre, Pierre LAVAL ?

Oui, dit l’autre. C’est un homme volontaire qui mène la FRANCE vers son destin allemand. Il est né tout près de chez toi, enfant naturel issu d’un juge de paix en goguette et commença sa vie en conduisant sur une patache à cheval les voyageurs entre CHATELDON et la gare de RIS. Puis il fit la fierté de sa mère : trop intelligent, il devint avocat et possède un empire de presse, aidé par son engagement politique qui l’amena à ces brillantes responsabilités. Son avenir est à la hauteur de son action.

- Merci Monsieur ! Mais, tous ces gens qui nous entourent, que sont-ils ?

- Mon petit, ce sont tous de grands debaters qui refusent la démocratie du nombre qu’on leur imposa. En 1936, les paysans, devenus ouvriers ont revendiqué leur part de bonne vie et ont crée le Front Populaire qui a pris les commandes de la FRANCE. Nous ne pouvions les laisser faire, gérer et se servir, mais des mouvements sectaires, hélas peu nombreux, s’engagèrent violemment. Un journaliste les qualifia de " cagoulards ".

Aussi, après la débâcle de la FRANCE, quatre ans après, ils se sont regroupés ici, comme frelons dans ruche et ils tentent de redresser le pays avec la passion politique qui les anime depuis longtemps.

Ils haïssent le communisme, les juifs, la franc-maçonnerie et veulent que la FRANCE retrouve son rang dans une discipline à l’allemande.

- Etes-vous des leurs, Monsieur ?

- Pas du tout, bien qu’ils soient mes amis pour la grandeur de la FRANCE. Je suis d’une famille bourgeoise de Saintonge, très catholique et jusqu’à la fin de mes études, même en pension, je suis resté profondément traditionnaliste Nous ne pouvions supporter cette perte des valeurs chrétiennes reprises dans nos mouvements loyaux d’anciens combattants issus de la Grande Guerre : Croix de Guerre, Croix de Feu.

D’ailleurs, notre devise : " Travail, Famille, Patrie " a été adoptée par ce Gouvernement. Nous n’aimons pas le coup de feu, mais il ne faut pas nous chercher querelle ; notre chef, le Colonel DE LA ROQUE est intransigeant.

Nous n’avons pas de problème avec les juifs qui sont souvent très intelligents, bien qu’ici à VICHY, le Commissariat aux Affaires Juives qui les cerne soit très important. ; Comme chrétiens, nous sommes très charitables à tous les croyants différents ; nos églises sont ouvertes à tous, même aux infidèles.

Nous méprisons l’argent qui corrompt, surtout quand on en a, bourgeoisement assez.

- Vous êtes très intelligent, vous même Monsieur. Que faites-vous ici ?

Je tente de rattraper le temps perdu, puisque je suis de la " classe 36 ", comme beaucoup d’autres et que je n’ai pas encore travaillé à 26 ans. Après un sursis pour terminer mes études de droit à Science Po, sans devenir avocat, j’ai été mobilisé dans cette " drôle de Guerre " et fait prisonnier. Je me suis évadé le 10 décembre 1941 et le 14 Janvier suivant, après examen, j’étais admis dans les services de VICHY dont je suis un des plus jeunes responsables. Ce fut vite fait. J’aime bien manipuler les masses humaines. J’ai commencé a être affecté à la " Légion des Combattants " que je connais bien depuis les Croix de Feu, mais j’ai pu paraitre un peu novice pour bien les regrouper. Je prends en charge ces prisonniers de guerre qui reviennent fatigués. Ce furent mes frères de souffrance.

- Comment vous appelez-vous, Monsieur ?

- François

- Nous reverrons-nous, Monsieur François ? Les temps sont si difficiles !

On apprit longtemps après, que les miliciens français pratiquaient des tortures infâmes dans les hôtels de VICHY, le Petit Casino, l’Hôtel Thermal où L’Hôtel des Fleurs, le mal nommé, à trois pas des ronds de jambes gouvernementaux.

Comment pouvait-on ignorer ces faits dans ces ministères qui prétendaient gérer la FRANCE, alors qu’à leur porte les cris de douleur des torturés ne les alertaient pas !

On ne parle pas des grands sujets chez nous.

Un autre état de fait à expliquer, est qu’après le désastre où les jeunes soldats furent emprisonnés en Allemagne, la génération précédente qui avait vingt ans lors de la grande guerre, était vingt ans plus tard dans la fleur de l’âge. Ils s’activèrent derrière un héros chenu de leur temps pour tenter de ramasser les morceaux de la France. Ils se dénommèrent la " Légion des Combattants ". Le Directeur d’école de Raoul, de cet âge meurtri, participait activement, et sur son ordre, on devait saluer respectueusement une grosse voiture qui promenait chaque après-midi et toujours sur le même circuit, un noble vieillard décati, Marechal de France.

Revenons à des sujets plus légers.

Il connut ses premiers émois avec une cousine, pendant qu’on veillait la grand-mère morte. L’ingénu cherche encore quelle loi de la nature justifia cette tentative spontanée d’amourette ; la petite sœur de la cousine qui assistait à la scène, suivait son premier cours d’anatomie.

Avec une telle enfance, Raoul n’avait pas le contact féminin facile. Vous n’entendrez pas trop d’histoires croustillantes, mais quand même !

Après un minimum d’examens réussis brillamment presque à la sauvette, il chercha sa voie.

A seize ans, le sous-ingéniorat des Ponts et Chaussées était programmable. Il y entra en formation par la petite porte. On le chargea de projeter une nouvelle route. Il y apprit la topographie, ses instruments de précision, ses calculs de cubatures équilibrées, le dessin et un premier contact de petit chef avec les cantonniers. Il ne savait pas encore quelle importance aurait cette compétence dans sa vie. De son bureau, il voyait les fantassins allemands qui occupaient le collège voisin. Chaque matin, ils défilaient marchant encastrés les uns dans les autres, en chantant " Ali, Alo ". Comme si les franchouillards pouvaient être impressionnés par la rigueur du " goot organizir ".

Pour son étude de route, Raoul disposait du grand plan en accordéon de la ligne téléphonique souterraine qui serpentait près des repères : les bornes, les arbres, les panneaux de signalisation, etc.….entre VICHY et LAPALISSE.

Un homme en chapeau, presque sorti d’un polar, lui réclama ce plan au troquet où il mangeait avec des indochinois jacassants et il le lui donna. Une ligne téléphonique, c’est un paquet de cheveux dans une gaine et d’un coup de bêche on détruit tout. Du moins il faut l’imaginer car l’ingénu n’en a jamais rien su de précis, mais le suppose par déduction.

Cet homme lui avait dit qu’en cas de difficulté, il pourrait monter à la Croix Trevingt dans les Bois Noirs où se trouvaient ses copains.

Quand l’ingénieur des Ponts, accompagné d’un civil guttural lui réclama le plan, Raoul prétendit qu’il était aux archives du grenier, qu’il allait le chercher, mais courut comme un fou par l’escalier de service, sauta sur son vélo et s’enfuit en ouvrant très grand l’œil et l’oreille dans la crainte de rencontrer l’ennemi : homme où véhicule quelconque.

Il s’équipa d’une chemise et d’un pantalon kaki d’aspect militaire (à dix sept ans on ne réfléchit pas assez), d’un sac à dos, passa près de la source Charrier (rappelez-vous la publicité : bébé aime Charrier), et s’enfonça dans les Bois Noirs, un peu paniqué.

A la Croix Trevingt, il ne trouva personne sinon les traces d’un campement. Il insista et parvint à rencontrer une troupe réfractaire du genre boy-scout. L’accueil fut chaleureux et la première nuit dans une ferme à l’abandon, parmi les chants et les poèmes des autres, il entama le poème empreint d’émotion qu’il récitait dans les soirées familiales où quelques femmes pleuraient, où l’on récoltait un peu d’argent pour envoyer des colis aux prisonniers :

" Un soir, après tant d’autres soirs, Est tombé sur leur espérance

Et les fantômes de la nuit, les songes noirs Ont encore assailli leur longue patience "

C’était beau et son succès assuré.

Le lendemain, arriva une traction avant avec des chefs peu amènes : " Qui est ce type, fouillez- le ! "

On vida son sac à dos contenant quelques vêtements mais pas de rasoir car il était imberbe ; il n’avait pas d’appareil photo non plus ce qui lui aurait valu une balle dans la peau. Il faut bien comprendre que le risque d’identification sur photo présentait un risque inouï pour les maquisards et leurs familles. Toutes les photos de cette époque sont douteuses. Qui aurait eu la bêtise de les faire développer?

Ont-ils eu un peu honte de renvoyer un jeune compromis par sa seule présence dans la masure ? L’alibi fut qu’ils n’avaient pas d’arme à lui donner. On le prenait quand même au sérieux, bien qu’il n’ait jamais touché une arme de chasse où de guerre depuis son enfance.

Il fut confié au curé du village voisin, St Just, qui le conduisit avec sa fourgonnette dans un autre maquis qui avait des armes de reste car on y guerroyait avec mort d’hommes.

De nombreux curés ont servi avec courage d’intermédiaire entre maquis. Face à l’ennemi français ou autre, leur soutane imposait le respect et ils avaient toujours une bonne raison de se déplacer pour assister un paroissien ou porter l’extrême onction.

Ce maquis de l’Armée Secrète, non politisé par chance, groupait une trentaine d’hommes. C’est un nombre encore restreint qui permet de se déplacer vite, se ravitailler facilement, et disposer d’un armement conséquent. C’est aussi la façon d’échapper à la délation involontaire ou voulue et rester manœuvrant face à ces adversaires beaucoup plus aguerris.

Ce groupe franc était formé d’aventuriers violents issus de l’armée de France ou d’Afrique, des bataillons disciplinaires. Gendarmes et ex-prisonniers de droit commun y côtoyaient les paysans du voisinage et les ouvriers déserteurs de l’arsenal de ROANNE.

Personne ne répondait à son vrai nom : La GOUPILLE, TARSAN, GOULDA, Le GORILLE, par exemple. Raoul, filiforme devint FIL DE FER et le resta jusqu’à la fin de la guerre.

FIL DE FER, trop ingénu, se vit confier la garde de deux prisonniers ; l’un d’eux, un noble, l’intimidait. Ils étaient à sa mesure, car ils étaient chargés de cuisiner et le soignaient. Les grandes tartines de pain de campagne étaient largement talochées de beurre paysan, un plaisir qu’il avait oublié. La nuit, on dormait dans le foin, à la douce chaleur offerte par des vaches odorantes et bruyantes.

Les histoires grand-guignolesques se suivaient.

Les motos et les tractions avant fonçaient sur les routes pour des raids sanglants. BARBIE, chef de la Gestapo appelé " BARBIER " fut attaqué sans succès dans son repère de Lyon. On déposait une gerbe au monument aux morts de RENAISON et les Allemands informés par un traitre local venaient brûler l’hôtel et les maisons. Les " mongols " qui ne venaient pas de si loin, attaquaient en vain dans la forêt immense. Un avion JU 52 qui cherchait, s’écrasa, ce qui les réjouit. Un ancien bagnard devenu milicien fut battu et abattu sans une pitié qu’il n’implorait même plus. Spectacle insoutenable pour un adolescent. Les pendus de SAINT YAN aux plaies du dos traitées au gros sel n’avaient pas meilleur aspect que les fusillés de NEAUX dont la croix de Lorraine blanche sur feutre marron remplaçait la tête éclatée.

Un sourire triste et désabusé marque seul le visage de ceux qui ont vécu cela et l’ont enfoui en silence dans leurs souvenirs. Pardon de l’exhumer !

Vint la libération de Roanne qui se fit sans dommage, les allemands étant partis.

Sur un camion à gazogène, Raoul arriva flanqué de ses prisonniers. Il les perdit dans la foule exubérante. Gosse, avec son vieux fusil Lebel, il était quand même auréolé d’estime.

" Viens voir avec moi ! Il y a des collabos à prendre " disait-on et il passait devant ceux qu’on avait saisis avec haine et les femmes tondues qu’on exhibait. Surtout paradaient des centaines de " militaires " bien armés et bien habillés, avec leurs foulards et leurs képis blancs. Pour ces combattants de la onzième heure, bien organisés, le blanc n’est pas une couleur de lutte mais de frime, voire de reddition, sauf à la légion étrangère qu’ils voulaient sans doute imiter. D’où sortaient-ils si bien équipés ? Quels furent les combats grandioses où ils s’illustrèrent? On cherchait à comprendre. Des gens nombreux regrettaient de ne pas être libérés par les Russes au lieu des Américains. Une politisation que l’ingénu découvrait et dont il n’avait aucune idée, avait germée sous le manteau de l’occupation et explosait soudainement au grand jour.

Il quitta de suite ce monde choquant. Une compagnie allemande errait dans les bois au sud de ROANNE ; il fut le premier volontaire à les prendre en chasse.

Foncer en traction avant, les jambes enserrant un phare, avec une arme prête à cracher, est d’une intense griserie qu’il appréciait.

Cette folle liberté ne dura pas !

Une telle équipe de maquisards aguerris était la bienvenue pour jouer au maniement d’armes, et un galonné sans troupe à diriger n’est pas grand-chose.

On les enferma dans la caserne VERLAY de ROANNE en confisquant leurs armes. Ils n’aimèrent pas cette formation militaire disciplinée, et voulaient seulement continuer la lutte frontale contre l’ennemi.

De nombreux militaires de carrière, souvent tardivement, après le débarquement du 6 Juin sur ordre de l’ORA, (Organisation de Résistance de l’Armée) prirent leur juste part dans la réorganisation de la lutte. Ceux qui anticipèrent trop le combat, et leurs capacités, en regroupant dans la clandestinité des troupes importantes non aguerries, sont responsables de certaines actions lourdes en pertes humaines, comme au VERCORS.

L’action de l’ORA fut généralement bénéfique pour limiter les prétentions politiques virulentes des communistes très nombreux, leurs francs Tireurs partisans formant une force inquiétante.

Nous sortîmes toutes griffes dehors de cette caserne, en récupérant de force nos armes, pour continuer la guerre. Un capitaine presque courageux qui s’opposait au départ en bloquant la grille de la caserne faillit être écrasé.

C’était un crime de lèse militaires, où notre lieutenant était définitivement brûlé. Malgré un patriotisme criant, ce fut le début la fin de notre réputation et nous n’en savions rien. L’armée de métier qui attendait en caserne l’ordre de combat, pas toujours certain, n’a pas oublié.

Nous rejoignîmes le front en Franche-Comté. Un régiment, le 152e d’infanterie, nous reçut avec plaisir. Il était conduit par le Colonel COLLIOU (ancien ROUSSEL) connue pendant la clandestinité en Bourbonnais. Nous devînmes le corps franc autonome du régiment, les baroudeurs étant, sans doute, inassimilables.

Après guerre, " Dédé " le baroudeur violent et " Alice " qui faisait sauter les trains ne furent plus des héros, mais des trublions proscrits du système militaire. Ils n’ont pas supporté cette contestation et sont vite partis, de chagrin, vers un ciel plus clément .

La vraie guerre frontale continuait et ils la rejoignirent à BAUME LES DAMES en Franche-Comté...

Ils furent transportés de nuit dans une noria de camions GMC sans lumière, dont un feu arrière rouge seul renseignait le suivant. Où était-on ? On s’en moquait ! Seul l’instant présent comptait.

Des goumiers et des tabors marocains dans leur gandoura grise tiraient leur âne chargé de prises de guerre, fusil compris. Ils s’asseyaient en rond pour prendre leur thé et les tirs ne les troublaient pas. Ils avaient le crâne rasé, sauf la mèche par laquelle Allah les tirerait vers un paradis, plus agréable pour eux que leur vie ordinaire.

On déshabilla les Sénégalais qui avaient trop froid pour continuer, et habiller décemment les nouveaux venus, casque lourd compris, sauf les souliers. Raoul était fier de sa tenue américaine, mais chaussé de galoches à semelle de bois qui dérapaient sur la glace. L’hygiène, on s’en moquait. Le grand manteau, dit la capote, allait devenir un sac de couchage dans l’hiver rude qui arrivait. En attendant, dans la Champagne pouilleuse et les Vosges, on pataugeait dans la boue. " J’ai jamais vu pareille gadouille, un tel déluge.. " chantait-on ! Et on faisait flamber de la poudre à canon pour se réchauffer et chauffer les gamelles.

On logeait dans les écoles et les granges et avant de partir en patrouille, les sacs étaient bouclés, avec un soupçon d’inquiétude. Qui allait rouvrir le cadenas de ce modeste bien ? Ensuite, on allait chatouiller ceux d’en face en suivant souvent le lit des ruisseaux pour éviter les mines, et en se méfiant des tas de bois où l’Allemand pouvait se planquer. Ils ne rencontrèrent pas, par chance, ces tireurs d’élite qui vous plaçaient une petite balle de 22 LR entre les yeux. Beaucoup sont tombés ainsi.

Une nuit, nous fument attaqués au pied d’une colline des Vosges. Les balles fusaient dans la porte de la grange. La peur était lourde jusqu’à ce que le tireur au fusil mitrailleur, dehors, hurla que son stock de chargeurs s’épuisait. Mû par une peur accompagné d’un fou rire nerveux, l’ingénu ouvrit la porte de bois et réapprovisionna son copain.

Il était devenu homme alors que bien d’autres poursuivent leurs études à cet âge.

Il obtint la croix de guerre à dix-sept ans et demi : le demi est important pour lui.

On lui accorda une permission de Noël et il rencontra dans le train une jolie fille qui ne refusa pas ses avances. C’est alors qu’il découvrit sur son corps de charmantes petites bestioles inconnues d’un ingénu. Il repartit de suite au front, non par héroïsme mais parce que les américains, encore eux, disposaient pour cela d’un bon produit : la DDT. La jolie fille a dû le maudire

Les Américains les amusaient. Ils tiraient jusqu’au dernier obus de mortier puis s’asseyaient flegmatiques sur leur caisse vide. Ils avaient une toute autre conception de la guerre, et une confiance totale dans leur réapprovisionnement.

Ils paraissaient aussi insensibles au danger que dans leurs films de cow-boys. Les français réfléchissent ils plus, trop ? Le doute sur l’esprit d’organisation est dans leurs gènes, pas à tort !

Les campagnes des Vosges et d’Alsace furent dures, n’est-ce pas Jeannot, petit copain patriote de ROANNE qui eut à peine le temps d’aller au feu avant de tomber sous la balle d’un tireur d’élite. Il ne fallait pas vouloir suivre Raoul. Ce souvenir est lourd. Il écrivait quelques jours auparavant :

"......Ainsi, mon vieux, tu es au front et peut-être même en ligne en ce moment. Comme je t’envie. Cette fois, ça y est ; tu vas pouvoir continuer à te battre contre l’Allemand et tu peux en être fier. Penses quelquefois au copain qui voudrait y être. J’aurais aimé, vois-tu prendre mon baptême du feu à tes côtés ; j’aurai eu un peu plus de courage de monter en ligne avec toi, mais puisqu’il en a été décidé autrement, laisses-moi te dire, que lorsque ce sera mon tour, je penserai à toi, et que si jamais je flanche, de penser à FIL DE FER, cela me remontera. Mais j’espère bien ne pas en être réduit là car pour le moment, je ronge mon frein. …… ".

Un peu honteux, je n’ai jamais voulu rencontrer ses parents, qui pourtant insistaient.

En Alsace, on plaqua Raoul avec un téléphone à fil, dans un trou humide et neigeux du grand canal de Huningue qui borde le Rhin.

Il devait signaler l’arrivée des Jagdpanthers, (les yacks), ces chars allemands diaboliques. Il n’en ramena qu’une forte bronchite et une famille alsacienne l’accueillit. Les obus sifflaient dans le ciel de part et d’autre, mais entre ces deux feux on ne risquait rien. Il insista auprès de ces gens, qui couchaient dans la cave, pour qu’ils rejoignent leurs chambres. Après chaque quinte de toux nocturne, il découvrait un grand-père en bonnet de nuit qui lui tendait une soucoupe où brûlait un schnaps sucré qu’il devait boire. Le brave vieux ne parlait pas français, mais le patois guttural de l’Alsace.

Ensuite, après NEUDORF, ce fut le blockhaus " Maman " à STRASBOURG, qui couvrait le pont de Kehl intact, sur le RHIN. Il existe encore, à demi caché dans le parc de l’Europe. Il avait été attaqué, avant, au lance-flammes, et l’on s’en méfiait. Par sécurité, ils se firent bombarder au mortier par les amis, puis placèrent des grenades liées à des ficelles qui entraient dans les meurtrières.

Ils y furent tranquilles et, chaque matin à neuf heures, ils avaient droit au spectacle de deux avions rapides, qui se dépassant l’un l’autre, comme des coureurs, mitraillaient les tours d’observation formant un long échiquier bordant l’autre rive. C’était, a deux pas, très accessible , l’ALLEMAGNE exécrée. Raoul n’imaginait pas l’avenir..

Ils franchirent le Rhin pour rejoindre la rive droite sur un pont de bateaux du côté de KALSRHUE au Nord de l’Alsace. Ne demandez pas où ? Nous n’étions pas des touristes.

La remontée sur l’Allemagne fut une folle aventure, et la juste revanche de la Drôle de Guerre, que nous avions subi quatre ans plus tôt. Les Allemands civils restaient, eux, cloitrés dans leurs maisons, ne pouvant fuir nulle part, et le respect du combattant, même ennemi, existait. Curieuse mentalité.

On fonçait si vite, que Raoul, sur une moto empruntée, en perdit sa compagnie.

Il croisait des prisonniers français qui avaient pris leurs habitudes dans les fermes et les fermières, mais aussi des salopards qui avaient fuit leur pays menaçant et menaçaient encore. Il fallait s’en méfier.

Sur un juron en français il questionna deux civils.

Ils affirmèrent être des prisonniers libres et l’entrainèrent chez eux. La soirée fut épique, le vin cuit étant disponible comme partout. Ce " vermouth " était aussi la ration journalière du soldat. Il se retrouva au petit matin dans un lit avec une Fräulein qu’il ne consomma pas. Restons prudents surtout avec la gueule de bois !

Il leur donna sa moto et repartit à pied.

Pour retrouver ses copains, il franchit seul sur une barque une rivière : c’était le Neckar, ce qui dût étonner beaucoup les habitants des villages voisins qui se cachaient derrière leurs volets. Ce n’était pas sans risque. Il en rit encore, en lisant maintenant les histoires de guerre, qui expliquent la stratégie de ces combats. Un soldat solitaire réalise, par ingénuité, la conquête qu’une armée a tant de peine à conquérir.

Après ces deux jours agités, il retrouva, content, son unité.

Ils libérèrent un stalag le 5A situé près de Ludwigsburg qui groupait des français et un millier d’américains. Arrivant en uniforme américain mais parlant français, ce fut un délire inoubliable, devinez pour lesquels ? Ils furent portés par une foule heureuse.

LUDWISBURG était une ville libre bardée de Croix Rouges. Elle fut respectée par les bombardiers. Ses habitants étaient saufs dans des maisons intactes..

Ils furent les premiers à entrer dans STUTTGART. La ville était complètement détruite et des tas de gravats alignés, marquaient seuls l’emplacement des rues. Les sous-sols de la gare étaient intacts. Ils contenaient des stocks incroyables : salles de chaussures, de vêtements, de linge de toilette, d’accordéons Hohner qu’on mitrailla, ce qui ne fut pas très malin, salles des vins, des alcools, des champagnes. Certaines sorties à l’air libre furent chancelantes.

Les stocks accumulés par les allemands étaient considérables. On en trouvait partout jusque dans les fermes isolées, souvent marqués de la Kriegsmarine. Ils s’étaient bien servis dans les pays conquis, les rapaces et ne manquaient de rien.

 

Les français furent chargés de garder un dépôt de montres et de bas de soie qui était régulièrement visité par des russes, ouvriers déportés plus où moins volontaires. Pour faire fuir ces voleurs ils tiraient en l’air. Ce dépôt fut confié ensuite à des Polonais de l’armée Anders; ils ne tiraient pas, mais attendaient poignard au poing. C’était plus efficace.

Les femmes russes étaient romantiques. C’est le charme slave. Au son d’un accordéon, elles dansaient en faisant des grâces et les garçons virevoltaient acrobatiquement autour d’elles. Ils se frappaient sur les cuisses et sur la bouche qui saignait aux commissures des lèvres, et tachait leur chemise blanche. C’était leur façon de séduire.

On les chargea avec difficulté dans un train qui les renvoya en Russie. Il fallut bloquer les portes des wagons des deux côtés.

Leur destin, dit-on, fut scellé par un régime brutal.

Revenons au combat.

Raisonnons comme le général de Lattre : la première Armée doit redescendre sur la Forêt Noire afin de couper la route aux états-majors et troupes qui fuient vers la Suisse. Ainsi fut fait. Raoul avait récupéré un très vieux soldat débonnaire du Volksturm qui, parlant français, servait d’interprète. Dans la nuit, on entendait des gamelles que ces soldats à bout, ne lâchaient pas. Un tir bref et le vieux lâchait sa tirade. On répondait "Nicht Maroccan ? Nicht. Nicht terrorist ? Nein ! ". Alors ces soldats à bout de force sortaient les bras en l’air mais le fusil à l’épaule.

De jour, un état-major important passa, assez loin dans un champ, entre deux forêts. Il fut mitraillé sans pitié. Ces hommes qui marchaient sans changer leur pas lent sous les balles étaient, sans aucun doute, usés par leur long combat.

La fin de la guerre, le 8 Mai 1945 fut marquée la nuit par un magnifique feu d’artifice vers le ciel de toutes les armes, légères des fusils et lourdes des canons.

L’arrivée à SINGEN-HOHENTWIEL, au bord du Bodensee, (le lac de Constance) avait été épique. La ville était presque vide, toute la population s’étant réfugiée dans les souterrains du burg, le vieux château qui dominait. Les Français qui les avaient faits sortir de leur tanière étaient bien connus. Raoul fut logé dans une famille où on l’appela Rudy. Il ne pouvait sortir en ville sans contrôle strict de son uniforme ; ses souliers étaient cirés. Un militaire doit être impeccable et de plus, Martha, la fille de la maison était très amoureuse de ce beau soldat français.

Nous avions une très belle musique militaire, qui avait servi pendant l’occupation aux manifestations patriotiques de VICHY et retrouvait son lustre guerrier. Les lever et baisser des couleurs étaient grandioses et les allemands y venaient en masse. Un soir, un allemand garda son chapeau. Raoul, l’adolescent l’envoya voler d’une grande claque. C’était la lointaine vengeance d’un souvenir de gosse. Pauvre homme, qui ne pouvait connaitre cette histoire franco- française !

Le premier quatorze juillet 1945, toute la ville était en fête et sortit habillée chic, plus quelques smokings. Un monument grandiose en tissu bleu-blanc-rouge avait été dressé. Il était décoré dans le blanc d’un portrait du Général et il était écrit au dessous, en lettres d’or et dans la langue de Goethe " le peuple allemand libéré salue avec respect la nation française et son chef le général De Gaulle ". On était éberlué et on lançait des fusées éclairantes dans l’axe de la rue principale pour qu’elles retombent sur les têtes ravies.

La fête s’arrêta quand on convoqua de force les habitants, quartier après quartier pour leur imposer une projection de films sur les camps de concentration qui venaient d’être découverts par les américains. La salle était entourée de soldats français en armes ; on jugeait de leur désarroi, leur refus, leur colère, leur incrédulité, leurs pleurs devant ce spectacle de désolation. Eux non plus ne savaient rien, manifestement.

La guerre en Europe était terminée, mais certains soldats qui avaient signé sans savoir " pour la durée de la guerre " se retrouvèrent en INDOCHINE. C’est une toute autre histoire ! Sombre.

 

UNE DROLE DE GUERRE EPOUVANTABLE.

RAOUL, l’Ingénu vous a déjà conté ce qu’il vit de ses yeux d’enfant, lorsqu’en 1940, les allemands déboulèrent sur la FRANCE.

Ce n’était qu’un épisode, au milieu de l’immense désastre que notre pays ait jamais connu.

Le 3 Septembre 1939, la FRANCE déclare la guerre à l’Allemagne qui vient d’envahir la POLOGNE, que nous étions censés protéger. Nous n’en faisons rien, mais nous sommes prêts chez nous.

Notre ligne Maginot est inexpugnable, bien que sur pression des belges, des zones ne sont pas sécurisées. La position belge est simple : nous avons des canons qui peuvent être braqués aussi bien sur les allemands que sur ces français toujours turbulents, comme on vient de le voir en 1936 avec leur Front Populaire. Prudemment, en 1937, nous avons déclaré notre neutralité. La sagesse du roi LEOPOLD III nous protège. Mauvais calcul ! Depuis la déclaration de guerre, des troupes anglaises et françaises doivent venir appuyer l’armée belge insuffisante.

De Septembre 1939 au 10 Mai 1940, on vécut pendant cette période, la Drôle de Guerre

La FRANCE a mis plus de deux millions d’hommes sur la ligne de combat, dont des troupes coloniales qui se languiront d’ennui pendant huit mois d’attente ennuyée.

Heureusement, on peut se distraire.

- Des tirailleurs algériens tiennent les avant-postes. La nuit tombée, à leur habitude, ils chantent accroupis en rond en claquant des mains. Les allemands qui ne comprenaient rien à la musique arabe se sont permis de les imiter en poussant des " youyou ". Cela a déclenché une pétarade d’une heure. Ceux-là sont prêts à se battre.

- A Creutzwald (Moselle) au milieu des bois, des soldats se baignent dans des plans d’eau aménagés mais se cachent vite dans les cabines, dès que ronflait un avion allemand.

- Le 7 Mai 1940, les cantonnements sont vides. L’Armée est au " cinéma aux Armées ".

- Le 9 Mai, si calme, le Général Huntziger avait organisé un transport de personnel à Vouziers (Ardennes) pour assister à une représentation de " théâtre aux Armées " et ce général était lui-même parti inaugurer le " Foyer du soldat " à Mouzay (Meuse).

- Les français sont bien informés par les diplomates, le clergé et de plus une mission aérienne française, porteuse de tracts, a vu une immense chenille motorisée montrant l’imminence de l’attaque allemande.

Cela n’interrompt pas la noria des permissions qui affecte douze pour cent des effectifs, officiers et soldats compris.

- Le Général Hassler, par exemple, ne pourra rejoindre la 22e division qu’il commande que quatre jours après le début de la bataille. Il était en permission !

LE DECOR EST PLANTE, VOYONS LE DRAME.

Pourquoi cette longue attente de plus de huit mois d’inertie ? Enervés par l’insolence allemande qui envahit les pays de l’Est, les Français et les Anglais ont déclaré la guerre. Ils l’attendent vainement, tout en restant statiques derrière leur magnifique ligne MAGINOT, estimée inexpugnable.

D’aucuns prétendent que l’Etat-major allemand aurait hésité à attaquer ce grand pays démocratique qu’est la FRANCE. Elle lui a laissé le souvenir encore brûlant de la Grande Guerre, perdue vingt et un ans plus tôt et qui avait ensuite ruiné l’Allemagne par le traité de Versailles, ce qui avait exacerbé leur volonté de vengeance

On ne peut croire qu’HITLER ait stratégiquement laissé mûrir le fruit de soldats français minés psychologiquement par l’éloignement familial, l’ennui et les rumeurs (cinquième colonne).

Nos généraux d’Etat-major, comme GAMELIN (68 ans en 1940), et WEYGAND (73 ans) ont aussi souvenir de la guerre de 14-18. Ils attendent cette attaque sur la BELGIQUE, certains que les divisions motorisées et blindés allemands ne peuvent passer par les forêts de l’Eifel et le massif des Ardennes. Lourde erreur ! C’est par là qu’ils arriveront.

Enfin prêt, avec des troupes neuves, HITLER (51 ans) donne l’ordre d’attaque le 10 Mai 1940, premier créneau météorologique et déboule par les Ardennes entre SEDAN et LUXEMBOURG. Ils attaquent en même temps la BELGIQUE et la HOLLANDE.

Le 13 Mai, sur le plan MANSTEIN (54 ans) ils ont forcé le passage de la MEUSE avec leurs ponts de bateaux.

Quelques résistances courageuses de soldats français sont connues et sauvent l’honneur :

92.000 morts perdus marqueront douloureusement des actions d’éclat et les mitraillages routiers, mais pour l’essentiel en cinq jours, c’est la débandade.

Cherchons des excuses : les chars français étaient dispersés entre toutes les unités d’infanterie qu’ils étaient censés protéger, où stockés soigneusement dans les arsenaux.

Et si l’on connaissait le bouthéon de pinard, on ne connaissait pas encore le jerrycan de carburant. Les motorisés étaient ravitaillés par groupage autour des camions citernes.

Les civils Belges, surtout wallons, commencent à déferler vers le sud. Ils sont au moins deux millions. Les français du Nord vont suivre. Ils sont six millions. C’est la folie de l’exode, sa pagaille, avec son cortège de mitraillages par stukas hurlants et les troupes légères allemandes fonçant dans cet énorme désordre.

A partir du 15 Mai, les Parisiens voient arriver les voitures belges avec matelas sur le toit pour amortir aussi les rafales venues du ciel. Ils paniquent aussi ;

Et l’Armée française ? Au groupe d’Armée n°3, on obtient la Croix de Guerre simplement si on a gardé son fusil !

Quels héros méritants !

Et les autres soldats en déroute. Début Juin, les allemands on fait 1.212.000 prisonniers alliés. Ce chiffre va presque doubler en moins de trois semaines. A mi-juin, on compte 1.850.000 prisonniers français de moins de 30 ans. C’est toute la jeunesse active de la FRANCE qui est piégée.

Qu’en fait-on ?

Les Allemands éberlués les regroupent dans des " frontstalags " crées dans les casernes, écoles, cinémas, les chapelles, les granges, les fabriques abandonnées, les stades, les champs clos de barbelés. Une pancarte " frontstalag " sur une chaise et un mirador de fortune font l’affaire. Ils sont gardés par des militaires, plus où moins estropiés qui les méprisent, mais montrent l’ampleur de la mobilisation allemande. Ces réservistes handicapés ne sont guère charitables : ils envoient des fusées éclairantes pour les observer la nuit et les assommer d’insomnie.

Ils ne savent plus quoi faire de ces prisonniers pris par dizaines de milliers chaque jour ! Certains allemands, sans doute humanistes, conseillent discrètement : " dites aux militaires de s’habiller en costumes civils ; sinon nous sommes obligés de les faire prisonniers et nous en avons déjà trop ".

Comment survivent ces prisonniers?

Evidemment, rien n’est organisé. Plus de 1.800.000 bouches à nourrir subitement par des troupes d’assaut, c’est impossible. Ils vont rester longtemps à crever de faim.

Certains font bouillir des herbes, des graines de mouron (puisque les oiseaux en vivent), leur ceinturon de cuir ; d’autres un paturon de cheval mort. Ils vivront pendant des semaines dans un état de promiscuité incroyable. Heureusement, il fait beau et chaud. La toilette et les toilettes sont inexistantes. Certains utilisent leurs papiers militaires et les arabes, plus traditionnels, des cailloux. Les feuilles de chênes, symbole du régime allemand (et des Officiers français) sont interdites.

Essayons de comprendre !

Pourquoi sont-ils restés là, passifs, désorientés ? Qu’attendaient ces français, habituellement indisciplinés et combinards ? Des papiers de démobilisation ? Leur solde ? La quille ? Ah, oui, plutôt la démobilisation qui ne saurait tarder, suite à l’armistice attendu !

Selon le Général Gaitard, les principaux facteurs de cet état d’esprit, ont été l’inaction, la propagande (euphémisme de la politique) et l’alcool.

Le 11 Juin le Gouvernement français déclare PARIS ville ouverte, ce qui provoque le départ massif des parisiens et des réfugiés qui paralysent la circulation. On pressent la fin.

Le 14 Juin, les Allemands entrent dans PARIS.

Le 17 Juin, le Marechal Pétain (84 ans) leur dit à la radio : " c’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat " et il demande l’armistice.

Le 22 Juin 1940 est signé l’armistice à RETHONDES. C’est tout un symbole vengeur pour les allemands annihilant l’armistice de 1918.

 " On s’en fout, on va rentrer chez nous " croient les prisonniers ; " depuis deux mois la guerre est finie "

LA SUITE DE L’HISTOIRE :

Un premier classement s’établit :

- 200.000 hommes sont libérés sur place

- 75.000 alsaciens et lorrains sont renvoyés chez eux. Ils vont resservir !

- 80.000 nord-africains et noirs sont maintenus en FRANCE. Ils n’en veulent pas, ces aryens.

- restent donc : 1.500.000 prisonniers français envoyés en Allemagne.

Certains resteront en FRANCE, dans des camps de travail jusqu’en Juillet 1941.

Terminons par une anecdote :

CORBEIL (Essonne) est une ville généreuse qui nourrit les soldats perdus qui passent. L’un d’eux écrit : " Arrivés dans cette ville, notre petit groupe de soldats essaie de faire constater son passage pour être en règle. Nous étions bien mal inspirés. Le soldat allemand nous reçoit très mal. Il nous a ri au nez. Notre naïveté le stupéfiait "

La débandade de 1940 a plusieurs raisons fondamentales.

Nos vieux généraux français n’avaient pas oublié la stratégie de 14-18 qui leur avait réussi avec l’appui Américain et voulaient continuer à l’appliquer.

Ils en étaient restés au convoi hippomobile et les armes modernes comme les tanks et les avions étaient distribués parcimonieusement au mérite et conservées en stock pour appuyer l’infanterie. C’étaient de sages gestionnaires.

Les vieux généraux allemands qui, comme les français avaient 40 ans pendant la Grande Guerre étaient aussi prudents et se méfiaient de ces diables de français bien équipés.

Ces troupes, face à face, ont provoqué cette " drôle de guerre " d’observation. Les Allemands ne pouvaient imaginer le désastre psychologique causé chez leur ennemi par cet attentisme.

C’est en début 40, que l’état-major allemand plus jeune, quinquagénaire, entouré d’une troupe motivée, engagea le combat.

L’état-major français attendait passivement.

Et la troupe ? Beaucoup sont des " rouges républicains " qui voulaient conforter leur passage bien trop long dans l’armée et profiter de la vie. Le farniente forcé pendant 8 mois de " drôle de guerre " a complètement anéanti leur agressivité combattante et l’attaque " fasciste " des troupes allemandes les a désemparés.

Ils se sauvent et le fusil, avec sa fleur, sont jetés au fossé. Après la débâcle et l’armistice, la guerre étant terminée, ils sont convaincus d’être démobilisés et de rentrer rapidement chez eux.

Ils n’ont pas imaginé que l’Allemagne avait besoin de leurs bras pour remplacer tous leurs nationaux partis en guerre.

Ils sont revenus cinq ans après.

Chercheur d’or par hasard

Raoul n’en pouvait plus de ce monde difficile et rêvait d’en échapper. Son père étant au Congo, c’était l’occasion inespérée de s’y faire démobiliser. Il partit sur " Le Hoggar " un vieux bateau omnibus avec Yvonne, l’épouse de Roger, qui avait été séparée de lui pendant six ans comme beaucoup d’autres.

A CASABLANCA, il se retrouva en médina, avec des militaires marocains conspirateurs qui rêvaient déjà de reprendre le pouvoir au MAROC. L’Ingénu ne comprenait rien à cette soif d’indépendance dès la sortie du conflit mondial. La chicane politique recommençait.

Nous ne pouvons donner de leçons : Dans l’Histoire française, les idéologues n’ont jamais été absents non plus depuis la Révolution.

Pour la gaité, par des ruelles inquiétantes de la medina, derrière la place de FRANCE, il passa une soirée au " COQ D’OR " découvrant ainsi des mythes orientaux très suggestifs dans des voiles légers et transparents. Les arabes ne sont pas pudiques. Ils aiment la femme aguichante.

A Dakar, toute l’organisation judiciaire était dans les mains des Martiniquais. Avec un soldat ami, originaire de leur Ile, ils firent une tournée de punchs mémorable.

En arrivant à DOUALA au Cameroun après vingt sept jours de voyage, il découvrait l’Afrique chaude, humide, moite. La mangrove luxuriante du Wouri (l’estuaire), la torpeur d’un monde écrasé d’humidité lourde. Beaucoup d’Européens ne résistent pas à ces premiers contacts et repartent vite, paniqués vers leur contrée plus clémente.

Yvonne découvrit son mari un peu chauve, dans la foule du quai, quand il souleva son casque de liège et Raoul l’apostropha :

"Alors Roger, comment ça va ?

- Bien, mais je ne te connais pas. Qui est tu ?

- Ton fils, répondit le militaire en tenue. "

Ils passèrent Noël au Lido, la boite à la mode. Des clients étaient en smoking, d’autres en maillot de corps. Les serveurs débonnaires et rieurs se groupaient et chantaient en chœur :

"On recule et puis l’on avance et on fait biguine à banguo ho ! "

On dansait aussi le LamberWalk, qui ramenait à l’époque heureuse d’avant guerre.

Les clients éméchés partaient plonger tout habillés dans la piscine et revenaient dégoulinant d’eau se rasseoir et continuer bombance.

Raoul était heureux de vivre cette ambiance folle pour la première fois de sa vie

Son père avait passé toute la guerre comme affecté spécial dans une importante mine d’or dont il était naturellement un des chefs.

La FRANCE LIBRE avait besoin de cet or. La Guerre coute très cher, n’en doutons pas. Le chemin pour rejoindre la mine était long ; c’était pour Raoul un saut dans l’inconnu.

Le train d’abord, à vapeur, avec ses escarbilles incandescentes de bois en feu qui pénétraient par les fenêtres aux grillages étoilés oxydés et brûlés.

On s’arrêtait souvent pour charger des stères de bois, et on changea de tacot, le pont de " Japoma " étant détruit. Enfin, après de longues heures, on arriva à la capitale rouge de latérite, YAOUNDE avec ses toits de tôle ondulée.

Il dormit la première fois à l’hôtel chic, " chez Condamine ", dans le couloir d’une annexe, sous moustiquaire le protégeant des anophèles, certes, mais aussi des cerfs volants, ces gros coléoptères bruns, bruyants, maladroits et inquiétants qui s’accrochaient partout même sur la peau et pinçaient.

Quelle chaleur torride, de nuit comme de jour.

Puis vint une longue piste routière, effectuée en pick-up, qui les amena jusqu’à Lomié au sud du Cameroun. On s’arrêtait chez les administrateurs, les docteurs et les planteurs de café où de bananes, heureux de la visite qui rompait leur vie monotone et discutaient familièrement. C’était cordial et leur " case " était grande ouverte au passant européen. Même pendant leur absence, on devait s’y s’installer et profiter de tout, vivres, boissons, couchage.

La FRANCE, méfiante et malheureuse, était loin.

Restaient deux cents kilomètres à parcourir à pied dans la grande forêt équatoriale, de LOMIE (Cameroun) à SOUANKE(Congo).

Une surprise attendait là le jeune Ingénu : des dizaines de porteurs allaient les transporter à dos d’homme avec leurs bagages. On reconnaissait les plus forts aux boules de muscles qui surmontaient leurs épaules, démontrant leur force.

A huit kilomètres par heure et cinquante kilomètres par jour, la course se termine dans quatre jours, objectif tenu. La charge était de vingt kilos moyens par homme, sauf pour porter les " blancs " plus lourds où huit hommes, moitié chargés, moitié poussant, pour tenir le rythme en chantant. Cette chaise à porteur, le " tipoye " était faite de bambous souples soutenant une chaise-longue, avec un toit tressé, le shine-back, et un panier à boisson derrière..

Raoul ne pouvait à dix huit ans accepter un tel mode de transport. Il marcherait aussi, au long de la piste. Avant le premier village, son équipe de " tipoyeurs " attendait. S’il ne montait pas, ses porteurs seraient vexés. Pour la première fois de sa vie, il franchit le village, trimballé à bout de bras dans les cris de joie, d’une case à l’autre, jusque devant le chef de village. Celui-ci attendait, avec un poulet blanc, une calebasse remplie d’eau claire et si l’on voulait dormir, sa case balayée était prête avec la plus jeune de ses femmes à honorer, si l’on voulait.

Raoul s’appela alors Alaoulé. C’est plus facile à dire sans prononcer les R.

On les accueillit à bras ouverts dans cette grande mine, exploitée par des marseillais expansifs. Le pastis maison coulait à flots. Tous les produits venaient d’Afrique du Sud, même les semences qui donnaient des légumes étranges, comme des tomates longues de un mètre. On vivait sur le pays, de patates douces et de gibier, la FRANCE, lointaine, étant exsangue.

Alaoulé devenait chercheur d’or par surprise.

Il assimila vite la technique, bien inspirée par celle de l’ouest américain et son expérience de la topographie s’avéra bien utile. Le travail commençait à 6 heures, dès que le jour pointait et que l’on pouvait lire et cocher la liste d’appel.

Tournée immédiate des chantiers avec distribution des tâches et vers 8 heures, premier casse-croute marseillais sérieux. Les pieds et paquets de moutons à la méridionale étaient délicieux.

Ce rythme était tenu toute l’année, le jour se levant à 6 heures et se couchant à 18 heures, très régulièrement. Nous sommes sur l’Equateur.

Le problème était d’amener l’eau en hauteur. Alors, au rythme des chanteurs, on construisait de grands barrages en terre battue. La vallée était entièrement barrée sur une hauteur de six à huit mètres. Les retenues ainsi créees, se remplissaient vite car il pleuvait beaucoup : plus de quatre mètres par an. Ensuite, par les " races " : canaux horizontaux creusés à flanc de coteau, et les " flumes " : les goulottes de bois, un courant d’eau circulait en hauteur. Ce flot était conduit sur un " grizzly bac " : la trémie à barreaux où on lavait les gros graviers rejetés, les fins roulaient dans le " sluice ", la goulotte qui retient l’or par ses " rifles ", barreaux d’échelle..

C’est le jargon de l’Américain de l’Ouest. Le meilleur moment était le " clean up " où l’or, très lourd se concentrait derrière les sables noirs. C’était très beau, avec la surprise de découvrir quelques pépites mêlées aux poussières et grains d’or brillants.

Alaoulé fonçait aussi pour rechercher l’or dans les ruisseaux d’alentour. Il ne craignait rien, suivi par des ouvriers hilares de voir un " blanc " aussi dynamique, courant toujours. Il s’écroula un jour et comprit ainsi que ce ciel toujours caché, cette atmosphère lourde de chaleur et d’humidité, n’était pas très saine. Il devint plus prudent et porta un large chapeau.

Les Administrateurs de la France d’Outre Mer n’appréciaient pas trop cette intrusion civile dans les populations qu’ils géraient. Leur formation d’école devait porter sur une générosité, bien souvent socialisante, que nous contrarions en faisant " suer le burnous ". Ces hauts fonctionnaires faisaient payer l’impôt aux adultes, et ils les distinguaient des enfants par un examen de la pilosité du pubis. C’est assez peu romantique, n’est-ce pas ? Au titre de l’impôt, la récolte de la sève d’hévéas était aussi obligatoire. Le caoutchouc manquait en Europe; l’Administration le faisait collecter pour les grosses compagnies commerciales.

L’un de ces administrateurs avait eu des déboires conjugaux en pays catalan par manque de procréation. Il prit au Congo un champ d’expérimentation scientifique avec dix femmes. Les dernières s’appelaient lundi bis, mardi bis et mercredi bis. C’était simple et il eut beaucoup d’enfants en tenant compte en plus de l’influence de la lune.

Pour transporter cette grande famille, et visiter les populations administrées, il disposait d’une très grosse pirogue creusée dans un arbre géant et plus rapide que tous les bateaux à moteur circulants. Ses trente pagayeurs portaient fièrement un béret de marin à pompon rouge, et le col bleu qui va avec. Torse nu, avec un lambeau de toile entre les jambes, ils avaient fière allure en présentant les pagaies au grand chef. Le soleil voilé brûle quelquefois les têtes

Les grands déplacements se faisaient par les rivières, qui font souvent deux kilomètres de large, par des bateaux à vapeur et à roue. Ils s’appelaient " Le Mgr Augouard " et " Le Balin ". A l’avant du bord, des maitres-sondeurs faisaient voltiger leur grande perche pour reconnaitre les hauts-fonds sableux que l’on devait éviter.

Sur les fleuves Sangha et Congo, le chargement des stères de bois préparés dans chaque village rencontré pour alimenter la chaudière, surprenait d’animation joyeuse. Chaque " gare " villageoise était marquée aussi par l’agitation intense des passagers qui se ravitaillaient et comme la coque et le pont du bateau était métallique, on cuisinait allègrement au bois dans l’odeur acide du manioc.

Des myriades de mouches tsé-tsé piquaient le jour, et les moustiques la nuit. Sur la " Likouala " haut lieu de la cuvette congolaise, cerné de marécages, on se calfeutrait dans la case de passage derrière des toiles grillagées. Le " panka ", porte légère au plafond, animé par l’orteil d’un gardien. Elle brassait un peu cet air lourd et chuintant du concert des insectes.

Les pêcheurs à la sagaie prenaient d’énormes poissons comme le " capitaine ", où le " binga " aux dents de requin. C’étaient des plats de choix, sans aucune arête, géante. Pour les transporter on passe une pagaie dans les branchies, et on les porte à deux. Ces poissons font deux mètres, la queue traine au sol.

Un jour, Alaoulé eut l’audace de prendre un bain en suivant la berge qu’il remonta de quelques brasses. Il ne rencontra ni binga, ni caïman, mais une vieille lépreuse qui faisait du goutte à goutte sur ses plaies. Il n’insista pas. Les habitants proches des rivières sont propres car ils se baignent souvent ; ceux des forêts profondes ont une maladie de peau très désagréable : le pian, marqué par un tréponème inquiétant. On l’appelait maladie de la crasse.

Après une année passée chez les Marseillais avec son père, Alaoulé connaissait bien toute la technique de recherche et d’exploitation des mines d’or. Il crut avoir assez d’expérience pour se lancer seul, mais le service des Mines ne l’admit pas ainsi : il avait dix neuf ans, trop jeune. Aussi, pour obtenir le premier permis de recherches il dût s’associer avec un vieux planteur de café qui n’y connaissait rien et n’apportait rien, sinon sa notoriété. La prospection fut longue et difficile. Il layonnait à la boussole dans la il forêt primaire, sans visibilité, et il vivait sous la tente. Des bâches faisaient l’affaire.

Les campements étaient établis avec prudence par les ouvriers; ces arbres immenses, mais mal enracinés dans la tourbe humide, tombaient comme des quilles sous la force des terribles tornades. L’eau dévalait en torrent sous la bâche ouverte.

Pendant la saison des pluies, cette forêt était inondée. On y traçait des raccourcis plus rapides pour les pirogues, entre les arbres. Avec un Commandant visiteur, issu de l’Ecole de Guerre, subjugué par cette vie, ils firent un jour une partie d’échecs les pieds en l’air, dans le torrent de l’orage, le fracas des éclairs et la chute des arbres immenses. Alaoulé gagna. Il en fut fier. Les distractions étaient rares, et pas toujours charitables. Par exemple, Alaoulé plaçait un réveil sur une cantine, en choisissant l’heure de sonnerie. Lorsqu’elle se déclenchait, c’était une fuite éperdue de ceux qui l’observaient. Il plaçait aussi sa vieille radio en marche après avoir enlevé le carton du fond. Un courageux, après réflexion, passait derrière, et commentait par geste, aux autres, ce qu’il voyait : les lampes. Pour recruter des ouvriers, il avait un magnétophone d’époque, à fil. Quelle stupéfaction quand on entendait un parent lointain, sans le voir dans cette boite.

Il était souvent attaqué par les " magnans ", ces fourmis qui défilent sur plusieurs mètres de large et nettoient tout, même les rares serpents. Il mesurait ensuite l’intensité de l’attaque par ce qui restait de son camembert de Durban.

Par les nuits de pleine lune, les chimpanzés hurlaient tout près en corrigeant leurs gosses à grand bruit, et ils frappaient sur les contrevents des grands arbres. Il leur manquait seulement le sens du rythme pour qu’ils soient admissibles chez les humains. Françoise DOLTO n’y aurait rien compris. L’éducation des enfants vient du fond des âges.

Les ouvriers chassaient le singe à l’arbalète, le " m’bano ". Sa précision est diabolique ; a cinquante mètres, pan dans le mille sur une simple bouteille !

La flèche est une longue tige de bambou bien droite, avec un morceau de feuille sèche en empennage, dont la pointe est maculée avec précaution par un poison cardiaque extrêmement violent : le strophantus.

Un pauvre chimpanzé au haut de son arbre en fit l’expérience. Il essuya ses plaies avec des feuilles, en faisant de la main des gestes de refus, la première minute. L’Ingénu en était bouleversé sans le montrer. Le chasseur n’aurait pas compris qu’on lui demande grâce dans sa quête éperdue de protéines animales.

Alaoulé appréciait beaucoup la compagnie des Babingas, les pygmées de la tribu, où plutôt famille BAGOMBE. Ils sont assez petits (1,40m.) ont un nez pyramidal, un beau torse réduit, des bras longs et des jambes grêles. La grande forêt est leur domaine. Ils sont difficiles à approcher, et peuvent s’enfuir en abandonnant tout, si quelque chose d’inconnu leur déplaît, même une simple visite du " blanc " s’ils la jugent maléfique. Leurs maigres plantations de manioc et de bananes plantain, ainsi que leur modeste village de feuilles pouvaient être abandonnés facilement, avant cueillette, pour un ailleurs inconnu, plus caché, plus protégé des dangers mythiques.

La nature luxuriante permet leur survie. Une liane coupée sur un mètre est gorgée d’eau propre à boire. Le miel est dans les cimes, et ils partagent des baies rouges avec les primates.

L’un d’eux, Gomane, chef d’une famille pygmée, restreinte, comme toujours, l’adopta pourtant. Sous leur abri du moment, fait de grandes feuilles, les " makas ", accrochées à des branches souples par un seul compère, il jetait calmement dans la pluie des brandons fumants incantatoires pour que cette pluie cesse et racontait ses histoires.

Autrefois, le sel manquait. C’est indispensable à la vie.

Quand on en avait, on le mâchait à pleines mains. Avec les premiers blancs, on plaçait au pied d’un arbre des pointes d’ivoire et ils laissaient en échange un sac de ce précieux sel. Quand ils en manquaient, ils faisaient réduire des peaux de bananes et autres légumes dans une calebasse brûlée dont ensuite, ils raclaient les bords. Alaoulé ne pouvait expliquer que le chlorure de potassium remplaçait un peu le chlorure de sodium. A ces souvenirs, Gomane souriait de toutes ses dents taillées en pointe pour mieux déchiqueter pendant sa courte vie. Plusieurs dents manquantes avaient été remplacées par des aiguilles de phonographe, plantées dans les os de la mâchoire.

Gomane et Alaoulé partaient ensemble dans la forêt, sur les pistes d’éléphants bien tracées où l’on attrapait leurs grosses tiques vertes. Gomane, très bon chasseur ne se perdait jamais. Il cassait des branchettes vers l’avant, de sa main gauche et retrouvait ainsi sans peine son chemin de retour par son sens aigu de l’observation.

Chaque pygmée avait son animal fétiche attribué.

Pour chasser l’éléphant, racontait Gomane, il se couvrait de fiente fraiche de l’animal. Ainsi, la bête ne le sentait pas et il ne la craignait pas. Avec son fusil à capsule, le " pataki " il lui envoyait à bout portant, la crosse au sol une courte sagaie en forme de demi-lune dans le ventre et il pouvait le suivre longtemps, jusqu’à sa mort.

Alaoulé qui voulait se montrer aussi fort affirmait ne pas craindre les gorilles assez nombreux. Il suffisait de rester en face en criant et gesticulant autant qu’eux. Méfies-toi répondait-Gomane. Tu regardes la tête en croyant le dominer, mais il te renversera avec son pied et alors il t’arrachera les mollets, comme il le fait aux femmes qu’il a tuées dans les plantations.

Alaoulé racontait aussi pour rire sa propre anecdote. Il marchait seul et toujours sans arme sauf une baïonnette symbolique rescapée d’une guerre passée. Soudainement des hurlements, des branches secouées, et des grimaces terribles : babines rouges retroussées sur des dents noires et l’œil noir farouche du grand mâle au cimier, excroissance du crâne, et au dos argenté. Les voilà, et ils fuient dans la brousse. L’ingénu s’assied sur un arbre couché et fume, pour prendre son temps dans un silence total. Il n’a pas avancé d’un mètre que c’est reparti. Les gorilles attendaient aussi dans un silence total. Alaoulé n’a pas cherché leurs mégots, mais les traces odorantes traduisaient leur peur ?

Le pygmée tendait l’oreille ! Un python boa aboyait au loin. Inutile de se presser, on avait tout son temps pour le retrouver et le tuer à la sagaie. Au fait, comment un python trouve t’il sa compagne, qui pondra des œufs fécondés ? C’est un mystère à éclaircir pour Alaoulé, mais pas pour un ophiologiste distingué. Son aboiement est peut-être un appel ?

Quelquefois, sur une piste, ils rencontraient dans la forêt des chasseurs qui boucanaient leur viande sur de grandes claies enfumées. Les macaques sans poils et les chimpanzés ressemblent à des gosses blancs et les petits gorilles à des gosses noirs. Alaoulé avait un sentiment confus d’anthropophagie. Ils offraient un gros morceau d’éléphant noirci à Alaoulé qui le confiait à l’un de ses pisteurs; celui-ci, heureux, continuait à enfumer la viande sur un arceau de branchette mais ne résistait pas à savourer crus de petits morceaux qu’il découpait tel quel.

On confiait à Gomane un simplex : fusil léger à un coup, et une cartouche à ailette.

Il ramenait la queue de l’antilope où du cochon, ce qui justifiait de sa réussite, et sa propriété pour tout autre chasseur qui aurait pu être guidé par l’odeur. Quand on dépeçait la " viande ", des vers jaunes infestaient la colonne vertébrale et les tiques noires étaient collées jusque sur les yeux et sous le ventre.. Comprenez-vous pourquoi les bêtes sauvages se roulent toujours dans la boue ?

Il pouvait aussi ramener un gorille dont certains, développés pesaient deux cent cinquante kilos, et plus de deux mètres de taille.. Cela ne se mesure qu’au palan, puisqu’en vie ils sont en appui sur leurs pattes avant. La palabre commençait avec le personnel. Ils voulaient aller chercher la " viande " pendant le travail, mais Alaoulé exigeait après le travail. L’entêtement pouvait durer deux jours, et pendant ce temps, la bête s’enrichissait d’asticots. A l’arrivée au camp, on partageait judicieusement la viande dans une feuille, et les asticots dans une autre. Bien cuits, avec beaucoup de piment comme toujours, c’est un bon corps gras, paraît-il ! Manger des primates qui souffrent, gorilles où chimpanzés est proche du cannibalisme avec tous ses risques de maladies transmissibles, connues où non. Des virus inconnus peuvent-ils se développer dans cette grande forêt saturée d’humidité où l’on ne voit presque jamais le soleil ? Sans aucun doute ; c’est un bouillon de culture permanent des microbes.

Sur un layon ouvert dans la grande forêt, ils furent une seule fois, attaqués par un insecte invisible et inconnu. Toute l’équipe se roula sur le sol sous la douleur de leurs ganglions d’aine et de bras. Personne n’a compris ; ils sont pourtant dans leur monde.

Alaoulé connut pire, souvenir ineffaçable. En traçant un layon à la boussole avec ses ouvriers dans la grande forêt, ils rencontrèrent une charogne de phacochère. Elle fut dépecée et les tripes disputées à coups de machettes. Alaoulé malgré son habitude s’enfuit, l'estomac retourné.

Ne croyez pourtant pas que les animaux sauvages rendent la vie courante dangereuse. Ils ont, comme les hommes, une vie insalubre et se reproduisent difficilement. Alaoulé marchait souvent seul dans la grande forêt, armé simplement de sa baïonnette, ce qui étonnait. Il n’avait pas une sensation de danger, les mauvaises rencontres étaient rares.

Par les nuits de pleine lune, les pygmées dansaient, accompagnés par les chants suraigus de leurs femmes. Ce sont les seuls à danser leur folklore, hommes et femmes réunis. Les grelots de noix qui enserraient les genoux et les chevilles, marquaient un rythme saccadé, envoûtant ; les pieds ne quittaient pas le sol, mais soulevaient la poussière. Alaoulé avait bien conscience d’assister à un spectacle absolument unique. Ce solitaire ne dansait pas, évidemment, mais aimait connaître les coutumes et leurs danses, qu’il demandait à voir pour un prix cadeau car ils étaient ravis de montrer leur gaité.

La seule danse de couple chez les grands noirs était la " Marimba ". Dans une case, ouverte, on forme un grand cercle, rythmé par le tam-tam. Au centre, le meneur de jeu a un sifflet au son aigu qui attire le geste. Il crie alors : " machez " et le cercle marche, puis il crie " tounez " et le cercle tourne. C’est tout. Les danseurs mettent leurs plus beaux atours, et les danseuses de beaux pagnes, le visage maquillé de lait en poudre (Unicef) et ils chantent et dansent –dans un bruit saoulant. D’autres danses plus typées ont lieu des nuits entières au son du tam-tam dans une case, fermée. Des hommes seuls dansent jusqu’à épuisement. On écoute, car on n’approche pas ces raving-partys réservées aux seuls initiés. (Le terme n’est pas d’époque).

En descendant au sud pour s’approvisionner, Alaoulé rencontrait sur leur savane des hauts plateaux les tribus Batékés. A proximité du village une cabane de feuilles, avec de grandes oriflammes de chiffons indiquait un lieu insolite. Le chef défunt depuis longtemps séchait habillé, assis sur sa chaise avec un repas frais servi sur sa table. Décati à la longue, on l’enroulera dans les pagnes et les couvertures que les invités apportent, et il sera promené au travers du village pour chasser les esprits maléfiques, avant d’être brûlé. Ses femmes qui se sont rasées les cheveux à sa mort, et revêtues d’oripeaux qu’elles ne laveront pas plus qu’elles pendant tout le deuil, se feront belles pour danser. Elles viendront avec leur petit tabouret, s’assoiront et au son du tam-tam elles danseront de la tête, et du haut du corps, ce qui est sous la lune, dantesque.

En marchant, au long des pistes, Alaoulé, rencontrait souvent des tombes, toujours isolées. La moustiquaire du défunt était posée au-dessus et ses assiettes d’émail, percées par prudence de vol l’accompagnaient. Après quelques morts insolites, le village était abandonné et on en construisait un autre, dans un endroit non maléfique. Le temps et le travail ne comptent pas.

Dans tous ces pays chauds à végétation envahissante, la récolte des fruits de la terre, l’habillement et même les amours ne posent aucun problème. La cueillette est facile dans ces terres de luxure et luxuriance. Il fallait amadouer le personnel par ce qui leur manquait : les pagnes très colorés, généralement anglais qui constituaient les dots de mariage, les chemises, les chaussures, les sacoches, les machettes, les lunettes, le sel et mille fantaisies originales qui faisaient l’attrait du magasin (la factorerie). On proposa un jour, dans la factorerie, des fouets batteurs à œufs. Cet envoi était jugé stupide, pourtant, ils furent vite écoulés et l’on vit ce nouvel instrument musical faire fureur dans le village, en tournant la manivelle. Les " noirs " chez eux, sont simplement heureux et supportent tout gaiement, même la tristesse, la danse permettant seule, de la supporter.

Le folklore, c’est beau, mais éloigne des réalités.

Alaoulé a enfin découvert deux riches placers aurifères à la deuxième année de son aventure solitaire, sous des bâches, dans la grande forêt. Le premier au Nabemba, dans un massif d’itabérites redressées, point culminant de la cuvette du Congo, se situait dans un " flat " marécageux, sous trois mètres de limon. Il fallut d’abord drainer, et quand on pataugeait au fond de ce couloir profond, on rencontrait des bestioles étranges comme des serpents à embryons de pattes, des cobras cracheurs que les malins détournaient de leurs yeux par une verroterie brillante sur la poitrine, et des sangsues qu’on décollait du mollet à la chaleur d’une cigarette. Le deuxième, Ebadondo, les deux grottes aux chauves-souris en langage Pahouin, était à soixante cinq kilomètres à pied du premier gisement plus une journée de pirogue, qui dépendait des raccourcis trouvés dans la forêt inondée, en saison des pluies. Un serpent, surpris, pouvait tomber d’une branche au milieu des bagages. Mettez un chapeau, par prudence. Alaoulé, sportif, rejoignait les deux mines dans une seule journée. Il empruntait quelquefois une pirogue moustique qui se conduit debout et le pied dans l’eau pour tourner. C’est du ski africain..

Cette longue marche l’obligeait à franchir de nombreux marécages, certains équipés d’une suite de rondins reliés par des bois en croix, et d’autres où l’on s’enfonçait jusqu’au ventre dans l’eau croupie.. Cela lui convenait bien ; il soignait ainsi ses jambes étoilées de " craw-craws " cotonneux. (Petits ulcères). Il essaya la bicyclette rendue bruyante, mais c’était trop dangereux de rencontrer un gorille, en déboulant trop vite. Un animal, quel qu’il soit, surtout accompagné de son petit qu’il défend, est toujours dangereux.

Quelques grammes d’or fin pur, au mètre cube de gravier sont exploitables.

Une centaine d’ouvriers y travaillaient dans des conditions précaires. C’étaient des tacherons courageux et acrobates qui transportaient le gravier en courant avec leur brouette, sur des échafaudages légers de bambous équipés d’un chemin étroit de planches. Généralement en cinq heures, la tache du jour était remplie : 6 mètres cubes pour 8 tacherons.

La production commença. Les caissettes d’or de 4 à 10 kilos étaient confiées à un porteur à peine connu, équipé de sa lance. Il mettait quinze jours à pied pour les livrer au premier contact avec le Service des Mines à cinq cents kilomètres aller-retour. La confiance aveugle ne fut jamais trahie.

Le principal problème était l’approvisionnement des deux mines, gas-oil compris, qui dans un premier temps ne put se faire qu’à dos d’hommes ; mais ceux-ci étaient rebutés par ce portage, et s’ils en avaient connaissance ne venaient pas à l’appel. Tout ouvrier surpris, ayant répondu présent à l’aube, se jugeait engagé et acceptait la charge, pour ce travail pénible. Au cours d’un de ces voyages, l’un d’eux mourut. Ils étaient fragiles à l’effort soutenu, dans l’ atmosphère saturée d’humidité. Un autre tomba malade ; tout le personnel risquait de fuir, si le mauvais sort s’en mêlait. Que faire pour soigner l’homme en pleine forêt ? Alaoulé appela le sorcier qui vint, drapé dans ses peaux de civettes. Il sortit une lame affûtée, faite d’un morceau de tôle d’un fût de deux cent litres, et scarifia le dos du malade Pendant ce temps, il mâcha des morceaux d’écorces qu’il cracha sur les plaies ouvertes, puis avec un balai sale qu’il frappait alternativement sur le sol poussiéreux et sur le dos ensanglanté, il poussa ses incantations.

L’ingénu était stupéfait, et le fut plus encore quand le porteur reprit rapidement son travail.

L’insensibilité de ces gens l’étonnait. Pour extraire une dent, par exemple, il bloquait la tête du patient entre ses genoux pendant que le forgeron sorcier opérait. Avec un bois dur placé à la base de la dent malade, et une enclume en guise de marteau, un seul coup sec suffisait. L’homme ne cillait pas. Alaoulé avait un homme de confiance, M’Bio, qui avait le physique et le mental d’un notable. Chaque groupe humain a sa faible proportion d’élites non révélées. Un attroupement se forme derrière sa case. Un bébé, celui de M’Bio a des convulsions, et ils le roulent tout nu dans les immondices, cendres et peaux de bananes, pour le soigner. Alaoulé hurla aussi fort que les gorilles de montagne en prenant le nourrisson en charge, ce qui était un risque car il était incompétent en puériculture. Le bébé survécut.

La piste unique qu’on suivait était un point de passage obligé et l’on y faisait des rencontres insolites. On croise un homme qui porte fièrement un fusil de guerre : le mousqueton et sa cartouchière.

- Que fais-tu avec ce fusil, où l’as- tu pris ?

- C’est le fusil du garde, je suis le prisonnier.

- Où est le garde ?

- Il boit du vin de palme au village où tu vas passer !

Chargé d’une telle responsabilité, il ne pouvait se sauver.

Jean, le cuisinier un peu fou, préparait des repas éclairs en cours de marche, poulet grillé où omelette (trois douzaines d’œufs, ils sont petits). Il contrôlait le chargement des femmes qui passaient et ouvrait les petits paquets de feuilles bien classées : chenilles, têtards, gelées d’œufs inconnus, termites ailés le jour où ils essaiment, sauterelles, petits poissons, gros vers palmistes, et enfin les petites crevettes de rivière qui régaleraient son patron. La relation avec la femme qui passait pouvait aller beaucoup plus loin, même sans affinité. La vitalité est si naturelle, que seule compte la procréation. Un haut fonctionnaire utilisait cette particularité. Il arrêtait son camion chargé de ses gardes et boys, et quand il rencontrait une jeune fille, " doumba " aux seins aguichants on ne repartait qu’ensuite, affaire conclue. La virilité du " moundalé ", ce grand blanc, était appréciée à sa juste valeur.

A ce sujet, faisons une mise au point.

Les femmes sont très peu prolifiques. Pour le paraître et plaire, elles se couchent les seins avec des lianes. Lors d’une naissance, le présumé père se place dans son dos. Si l’enfant ne vient pas, on ira chercher un autre homme. En cas de succès il acquiesce: Cela a pu se rêver en dormant. Si l’on ne trouve plus de père possible à présenter, la femme sera rejetée dans la plantation, et peut pour le moins, accoucher seule dans l’opprobre. Danger du tir au jugé pour le chasseur !

Nous sommes en plein régime du matriarcat. On ne reconnait que ce qui sort d’un ventre. Le géniteur, même bien connu, sera négligeable et sans aucun intérêt paternel.. La famille et éventuellement ses chefs seront des mâles : le fils qui naît, le frère de la femme, et l’oncle maternel.

Alaoule construisit une première piste roulable de trente cinq kilomètres dans les marécages jusqu’à la première mine, du Nabemba. Cette piste était marquée de trois sillons : le passage des roues et du pont arrière. Le camion de 5 tonnes s’embourbait souvent et en dégageant l’eau pour placer les plaques d’envol, on y ramassait des poissons. L’un de ses employés, ancien légionnaire à l’histoire brillante, mais heurtée (il s’était évadé d’extrême Orient, d’une prison japonaise), arrivait en courant pour désembourber le camion de son patron. Il aimait aussi conduire ce camion, pour casser, sous ses roues arrière, les longrines de bois, pourrissantes, qui constituaient certains ponts. Un coup de frein brutal, bien placé suffisait pour réussir, sauf erreur fatale d’appréciation, qui faisait basculer le camion dans le ruisseau, pour son plaisir d’aventurier. L’Administration devrait réparer le pont. Alaoulé tenta vainement de dégager un terrain pour un avion éventuel rêvé: le Dragon De Havilland de la dernière guerre. L’abattage et le dessouchage des grands arbres fut un long travail impossible. Il n’en vint pas à bout. Faute de visibilité, les rares pointements métamorphiques de ces plaines usées, garderont leur secret. Les layonnages aveugles et portages à dos d’homme continueront.

Lors d’un quatorze Juillet, l’associé, inquiet de le voir toujours seul, a fait glisser dans son lit Mathurine, une jeune fille différente, donc jolie, issue d’une famille de pêcheurs du Dahomey attirée par les gros poissons de la Sangha. Elle lui a donné un fils, MANU, qu’il achètera par troc, contre une machine à coudre. L’enfant contracta la polio à trois ans, maladie endémique dans ces pays, pendant l’échange. Il fut soigné en FRANCE et à son retour s’exclama, en assistant depuis notre case à une chasse au gorille à la lance :

-regarde les messieurs avec des bâtons !

Trop petit, il avait oublié, mais cherchera longtemps ses racines, tout en sachant tresser les brins d’osier avec une facilité étonnante comme ses ancêtres. Curieux atavisme.

Il eut pour parrain, à sa naissance, un religieux : le Frère Alfred. Les missionnaires catholiques vivaient chichement sur le pays, depuis leur évêché d’OUESSO. Ils évangélisaient les animistes. A ses passages en France, Monseigneur VERHILLE, qualifié évêque des pygmées, prélevait avec autorité, chez des bourgeois bien pensants, quelques objets d’art qui gonfleraient son obole. Pour prénommer un enfant chrétien, ces missionnaires prenaient simplement le saint du jour du calendrier. Une fille prénommée Valisère deviendra Valise ; sans R c’est plus facile à prononcer.

Des protestants suédois passaient un contrat de durée déterminée de pastorat (trois ans). Ils vivaient du petit commerce d’objets utiles de leur pays. Quand ils amadouaient les enfants avec quelque colifichet, une volée de moineaux des fils de la mission catholique profitait de l’aubaine sur ordre de l’évêque. On riait de peu. Ces suédois nous étonnaient. Ils mangeaient cinq fois par jour avec des sucreries, comme chez eux. C’était dangereux pour leur santé dans ce climat implacable.. Ils recevaient de temps en temps une stagiaire suédoise dont on rêvait jusqu’a ce qu’on soit présenté. On riait encore.

Revenons aux sujets sérieux !

Les placers aurifères sont devenus très rentables et le produit de la vente rentrait à flot. Alaoulé est riche et à 23 ans, après 5 années de brousse, il va passer des vacances en France. Il doit retrouver une marraine de guerre inconnue, avec laquelle ils ont échangé des courriers de plus en plus romantiques. La réponse à une lettre demande deux mois.

Il descend à Brazzaville en Command car. Il a peur de cette vie intense oubliée. Cela s’arrange vite. Des parachutistes au béret rouge l’ont facilement adopté et font des roulés-boulés depuis le marchepied du Command Car.

Il prend l’avion Constellation Brazzaville-Paris avec une infirmière gentille qu’ils lui ont présentée. Elle rentre se marier. On échange des adresses. Elle est fille de châtelains.

Raoul connait maintenant sa " fiancée " Lyonnaise. Elle correspond parfaitement à son rêve et le courant passe. C’est chose faite, mais soudain, elle pense à son père, un inventeur touche à tout, aussi enfantin que le Professeur Tournesol. Elle ne peut l’abandonner, en partant si loin. L’amour est perdu. Il se console dans une fête parisienne agrémentée par les danseuses du Chatelet et peu avant de repartir, Raoul téléphone à l’infirmière rencontrée dans l’avion. Son mariage arrangé par les familles a aussi raté.

Ils se sont mariés très vite, en deux semaines. Un beau mariage mondain, parisien, dans un quartier chic. Raoul était en queue de pie.

Mais il faut repartir vite ; la chance va tourner.

D’abord, le légionnaire qui ne buvait que du thé a changé de carburant. Cela devient dangereux et son éviction fut du grand guignol. Ivre, dans la nuit noire et la forêt, il fallut l’arracher du volant du camion et il se sauva dans la forêt. Alaoulé ne pouvait l’abandonner et moitié insultant et moitié conciliant, il remonta, penaud sur le plateau avec le cuisinier. Son passé était lourd : meurtre.

Ensuite, son associé, le vieux planteur de café imputant son âge, veut partir et gagner encore plus en vendant les cinquante pour cent qui lui appartiennent, et valent maintenant très cher. Alaoulé est orgueilleux, ne veut plus un tel fil à la patte et rester le seul propriétaire. Il rachète tout, partie cash, partie par traites. Cela ne lui pose pas de difficultés.

Il ignore que, loin de là, dans les pays civilisés, la FRANCE applique soudain les accords de Bretton Woods. Le Général De GAULLE a décidé que le cours de l’or s’accordera aux prix mondiaux et baisse ainsi de trois huitièmes. Il n’a plus besoin de cet or grappillé si difficilement. La FRANCE est riche.

L’ingénu a 26 ans, et il a perdu, outre son capital, sept années d’un travail fou.

Le vieil associé est confus, mais ne rendra pas l’argent ramassé. Il est trop vieux dit-il et veut assurer son devenir.

Raoul sortit difficilement de cette situation qui le mina d’angoisse puis le terrassa.

Un bon toubib venu précipitamment de très loin, réussit à le sauver après avoir étudié les formalités de décès. Il délirait, sans reflexes et la lampe tempête, qui l’éclairait, était devenue à ses yeux qui ne clignotaient plus, une magnifique voiture américaine. On l’évacua en civière par piste, bateau et avion, en trois jours, jusqu’à Brazzaville et on lui conseilla de retourner vite sous le ciel clément de son pays.

Vous n’y pensez pas !

 

PETIT EPILOGUE

Il connut la fin de l’histoire de ses mines beaucoup plus tard sur une étude d’ethnologue de la Sorbonne.

Le vieux planteur resté sur place avait revendu les mines, gardant le beurre et l’argent du beurre. Les nouveaux exploitants ont aussi dû abandonner deux ans plus tard. Les placers n’étaient plus assez riches au nouveau cours.

Ainsi va la vie.

 

PETIT RAPPEL DE LA GRANDE HISTOIRE

Vous avez pu juger de la difficulté à vivre dans la grande forêt Equatoriale. Le climat est très chaud et humide et l’humus s’est constitué depuis des temps géologiques (batholite). C’est un profil usé. L’effet de serre d’un ciel, très nuageux presque toute l’année, contribue à maintenir une végétation luxuriante. On peut rire quand des cassandres du climat affirment que cette forêt est menacée, alors que des arbres poussent de dix mètres par an et que les singes et les oiseaux, comme les touracos, dans une canopée inaccessible vont essaimer partout des graines d’arbres géants.

Comment d’ailleurs imaginer que cette couverture nuageuse lourde puisse devenir différente ? On ne bronze pas sous ce soleil invisible, et on ne peut rien changer au régime des pluies.

Les conditions d’accès ont rendu impossibles les échanges humains. La côte Ouest était réputée inaccessible et les géographes écrivaient sans rire : région inconnue et déserte. D’abord, partons d’une généralité. La forêt continue de la cuvette du Congo qui n’est que la plus grande, les autres étant nombreuses, couvre un million huit cent mille kilomètres carrés, soit plus de trois fois la surface totale de la France. Les essences d’arbres exploitées sont limitées : L’Okoumé, bois de déroulage irremplaçable pour les contre-plaqués et quelques autres bois durs pour la menuiserie de luxe et les applications imputrescibles comme les traverses de chemin de fer. La densité prélevée est d’environ un à l’hectare dans les quelques régions accessibles, seules concernées, mais il faut ouvrir des pistes pour y accéder.

La repousse dans un terreau luxuriant, a une température et une humidité propices est plus rapide que dans une serre ; le poumon vert de la planète n’est pas menacé, quoi qu’en disent certains imprécateurs de passage. Il y tombe quatre mètres d’eau par an !

La forêt en bosquets est par contre très menacée, par sa facilité de destruction localisée. On ne peut généraliser, la pression humaine étant très différente. Le Nigeria en Afrique Occidentale saine tend vers cent quarante habitants au kilomètre carré. Le Gabon dans la grande forêt Equatoriale n’en compte que quatre.

Le fleuve CONGO était aussi infranchissable.

Imaginez un fleuve grand comme Sept Rhône (soixante quinze mètres cubes/seconde) et qui, entre Lyon et la mer chuterait de trois cents mètres, par paliers infranchissables, créant des vagues gigantesques, des remous et chaudrons d’enfer. Philippe De Dieuleveult a payé très cher sa tentative insensée.

Roger, le père de Raoul, raconte dans son court essai d’époque, ce qu’il pense de ce fleuve au seul point qu’il côtoyait ::

" Lors de mes voyages, j’ai été impressionné par les rapides du fleuve, surtout sur trois passages particulièrement dangereux. Impressionnant tourbillon de plus de deux kilomètres de largeur, produit par un étranglement à l’entrée et à la sortie de ce passage. Mes pagayeurs porteurs m’ont dit ne pas trop craindre ce passage, à condition de bien connaitre l’eau. J’ai compris que pour passer, il fallait se faire prendre par le flot remontant du tourbillon, pour franchir cet épouvantail qui, à son centre, fait un entonnoir de plusieurs mètres de profondeur ". Après avoir équipé un treuil sur un rocher pour haler la pirogue, il cite encore : " à la descente, on prend le chenal au milieu du fleuve, où le courant fait bien du soixante à l’heure, ce qui fait qu’on n’a pas le temps de voir passer ce rapide. C’est vraiment une course contre le naufrage ".

L’accès à l’Afrique, au sud de l’Equateur, ne se faisait que sur la côte Est beaucoup plus accessible par l’Océan Indien, via ZANZIBAR, point d’accès bien connu des commerçants et negriers arabes et de la Compagnie des Indes. En 1841, un Docteur et pasteur idéaliste, LIVINGSTONE, accompagné d’épouse et enfants, explore les savanes du Sud, que les musulmans d’Orient sillonnent depuis longtemps, pour en tirer les modestes ressources : ivoires, caoutchouc, peaux, cires d’abeilles et épices et ....esclaves.. Il mena une lutte pacifique de religions, non contre l’Islam, déjà bien implanté depuis longtemps, mais auprès des ethnies souvent esclaves, vendues par leurs chefs coutumiers.

Un autre idéaliste, laïque, SAVORGNAN DE BRAZZA, attaque son exploration par la côte Ouest en début 1876. Cet Officier de marine part de PORT GENTIL, au GABON, déjà bien connu des bateaux de guerre français qui y font escale, remonte en pirogue sur l’OGOOUE jusqu’à LAMBARENE et se lance dans la grande forêt primaire peuplée seulement de quelques groupes d’animistes superstitieux. Il en sort malade, mais s’entête et en 1880, a reconnu et traversé six cent kilomètres de cette nature hostile et a rejoint les savanes des plateaux Batékés où il signe avec le " Makoko ", leur grand chef tribal, une prise de possession au nom de la FRANCE. Comme ce chef Batéké ne savait pas écrire, ils devinrent sans doute frères de sang en mélangeant deux taillades du poignet. Cela suffisait.

Ces explorateurs philanthropes furent suivis de commerçants, réputés exploiteurs. Ne critiquez pas trop ; c’est une étape obligée avant normalisation. Leur audace et leurs risques n’étaient pas gratuits, concevez-le. Qui se risquerait à une telle vie ?

Cette première étape de colonisation franchie, seul le chemin de fer permettra de désenclaver l’immense cuvette du CONGO, par l’Ouest. Le fleuve est inutilisable et les montagnes du Mayombe nécessitent de nombreux tunnels. Conditions impossibles.

En 1921, on lança malgré tout la construction du Congo-Océan.

Mais à quel prix humain ! L’administration française s’était engagée, était-ce une erreur ? à fournir huit mille hommes permanents. Où les trouver ?

On les réquisitionna partout en Afrique Equatoriale Française jusque dans les régions semi désertiques, mais saines du lointain Tchad. Ce fut une hécatombe que les journalistes de passage, Albert Londres, et André Gide stigmatisèrent avec excès et succès médiatique assuré : " un homme par traverse " ! Les Sara du Tchad, parmi les autres, venant de pays sains et secs ne supportaient pas les miasmes de la forêt. On compta les morts par milliers. Pour faire passer le matériel il fallait d’abord creuser les tunnels à main d’homme. Les engins mécaniques d’époque ne pouvant accéder qu’au terme des travaux.

On importa même des indochinois qui ne résistèrent pas mieux à un tel dépaysement.

Hélas, la nature et la folie des hommes incapables, rendent cette trachée vitale pour faire respirer les échanges, toujours vulnérable de la cuvette du CONGO. Un chemin de fer demande un sévère entretien. Quand des épisodes guerriers s’ajoutent, il devient encore plus vulnérable.

L’avion a un peu désenclavé ces pays en les libérant des routes et du chemin de fer si difficiles à entretenir. L’administration locale seule, ne sait pas faire.

Ce sont des problèmes kafkaïens à résoudre, pour des pays si pauvres.

Pionniers du chemin de fer

C’est un ingénu, un peu sonné par l’adversité, qui cherche son avenir.

Il a une bonne expérience de la topographie, de la tectonique et une grande habitude de l’exploitation des mines en milieu difficile.

Ce profil intéresse le Canadien R.L’Esperance qui lance l’étude de gisements de manganèse de Franceville au Gabon. De l’espérance, Raoul en a rudement besoin après ces sept années perdues.

Il rejoint Franceville. Les Européens sont réunis au cercle de la région, et fredonnent en chœur " le Tango bleu ". L’ingénu n’a jamais su danser, surtout le " frotting blues " comme disent les belges. Ils s’agitent aussi avec fougue au rythme du " Lambeth Walk " qu’il entendait chez les " grands " pendant la " drôle de guerre " 14 ans auparavant. Le temps n’aurait-il pas eu de prise ici ? L’ambiance s’annonce sympathique et décontractée

.Franceville avec ses collines de savane arborée ressemble beaucoup à la France et l’Auvergne d’où son nom. Le climat y est doux, et ce n’est plus la grande forêt. Cette savane arborée avec des bosquets est propice au déforestage. Elle contient sous les arbres de taille moyenne, l’humus accumulé par le temps, propice aux cultures, et le bois des bosquets est abattu pour planter et cuire la nourriture. A contrario, la savane qui entoure ces bosquets n’est pas riche et on la brûle souvent pour chasser le petit gibier avec des filets et le gros gibier, qui s’y complaît mieux que dans la grande forêt.

Le bon Docteur Chazarin y est en charge de la santé. Il procède aux circoncisions " laïques ". Quand la clientèle est abondante, il s’enfile les prépuces juvéniles sur l ‘index et les montre fièrement à qui veut admirer sa compétence. La circoncision fait partie de l’initiation. C’est le passage de l’âge d’enfant à l’âge adulte. Une forme de service militaire, si vous voulez. Cette colonisation a des voies bien paternalistes.

.Jo, l’ancien de la Royal Air Force, au flegme très britannique, lui présente ses nouveaux collègues de travail : Claude, le mineur détaché du BRGM qui représente les Français, Bob, le sondeur pied-noir et Bill le sondeur américain, formateur qui travaillent sur de grosses machines à percussion, américaines bien sûr. Evidemment, Raoul devient de suite Ralph. Cela fait plus aventurier dans une Société canadienne.

Les études suivent : sondages à maille serrée, complétée par des puits. C’est un immense échiquier tracé sur les zones minéralisées que l’on découvrira progressivement.

Ralph n’est pas dépaysé par ces techniques. Il est suffisamment compétent pour implanter ces reconnaissances et interpréter les résultats. Le gisement de pente initial est devenu un important gisement de plateau, qui deviendra une des plus grandes mines de manganèse du monde. Les psilomélanes et les pyrolusites n’auront plus de secret pour lui. Ralph prendra la responsabilité des études six mois après. La légende dit que c’est un chercheur d’or qui a trouvé cet énorme gisement de manganèse. Est-ce-lui ? Est-ce vrai. Célébrité ignorée !

Jo, flegmatique comme un Anglais s’occupera de topographie. Il rêve de piloter l’avion Cessna de la Société qui est en révision. Il l’aura. Jean-Claude Brouillet, cet étonnant pilote le ramène. Ralph est à bord et lance une phrase imprudente : " faites-leur voir que c’est notre avion " ! Il a été servi ! Jean-Claude pouvait aller chercher un malade, dans la grande forêt, par nuit noire et atterrir aux phares des voitures. C’était un drôle d’oiseau, ce type là ! Il avait épousé entre autres, l’actrice Marina Vlady et partit ensuite en Polynésie pour produire des huitres à perles noires.

Comme d’habitude, le personnel est nourri et Bob, le sondeur, et Ralph, se livrent à une compétition de chasse aux buffles. Les troupeaux sont nombreux dans cette région de savane et depuis le plateau d’un power-wagon, on les traque partout. Le jeu est inégal, car l’on dispose de VHF dans l’avion, qui les observe et les rabat devant les fusils. Attention ! Ces bovinés sont très dangereux, car même blessés gravement, saignants, ils peuvent faire un large cercle et vous les recevez dans le dos, ce qui ne pardonne pas. Un blessé est encadré par les autres qui le soutiennent et ils fuient en groupe derrière leur chef mâle. Attention encore ! Ce troupeau de bulls fonce et défonce tout ce qui se trouverait sur son passage. Lorsqu’à l’aube on les surprend à brouter, leur agitation ne laisse pas de doute : ce sont de grands fauves. Ils ne voient pas car ils sont infestés de tiques jusque dans les yeux mais leur odorat est subtil ; quand ils lèvent fixement la tête pour humer et chercher ce qui les menace c’est un beau spectacle dangereux.

Ralph s’est installé près du lac d’Okouma, sur le plateau minéralisé. Les buffles viennent y boire tranquillement. Il ne se lasse pas de les admirer en prenant son thé matinal. Un matin, Bob arrive en courant. Des lions sans crinière entourent sa sondeuse et dépaillent les dames-jeannes d’huile sans les casser. Il ne tirera pas ; ces fauves sont exceptionnels et très rares au Gabon. On doit les respecter.

Bob est un fin chasseur, nous l’avons vu. En soirée de fête, c’est d’abord un garçon très spirituel, drôle, bien élevé et qui fait rire les dames. Mais, avec très peu d’alcool, le ton change. Il devient agressif et cherche son fusil que l’on cache. C’est un fou. On le couche, on le surveille, et au réveil, il sait qu’il a encore commis une lourde bêtise, mais laquelle ? Il n’en sait plus rien. " Je suis un chien crevé " dit-il dans une réflexion pied-noir. Il est inquiet. C’est comme cela qu’il s’est fait tuer par des gendarmes gabonais en légitime défense. Il tirait partout, avec ses armes de chasse à gros gibier, et ses amis, qui l’auraient sans doute calmé, étaient loin. Ouvrons un sujet moins triste.

Ralph qui était omniprésent, préparait tranquillement une piste d’aviation sur le plateau, dont la couche de pisolites, (les petits grains recouvrant le minerai), est compacte et naturellement tassée. Les arbustes étaient arrachés au treuil des power-wagons. Préparation de routine. Un message radio tombe : le premier avion se posera le mois prochain. C’est tout bon, nous serons prêts. Un deuxième message rectificatif tombe : l’avion se posera demain. Catastrophe, mais on ne va pas retarder une telle distraction. Vite, vite, déracinons les arbustes et rebouchons les trous. Plaçons aux bouts de cette piste improvisée de sept cent mètres, deux bandes de tissu blanc fixées par des piquets ; informons la population de cette arrivée surprise et préparons un bon apéritif sur le terrain.

Voilà l’avion. Autre surprise ! Ce n’est pas un avion taxi mais un bon vieux bimoteur Douglas DC3. Au deuxième passage, il se pose brillamment. En descend le pilote qui salue et qu’on invite à prendre l’apéritif avec son équipage " Cela ne suffirait pas " dit-il en souriant, " j’ai vingt cinq personnes à bord ".Quand on est dans une grande société, la confiance est sans limite. On a souvent raison, mais pas toujours.

Le spectacle de ces avions bimoteurs deviendra vite routinier. Ils descendent de Fort Lamy N’Djamena avec des carcasses de bovins pour alimenter Brazzaville et déposeront au retour chez nous, les meubles, le ciment, le ravitaillement. C’est plus rapide, moins cher et plus sûr que le transport en camion. Leurs pilotes sont des pépères retraités qui se paient une dernière joie aventureuse. Elle leur serait interdite en France.

La vie devient monotone ; Ralph s’embourgeoise.

Cela ne durera pas !

La mine étant maintenant bien identifiée, il faut trouver comment transporter le minerai jusqu’à la mer. Tout a été envisagé : l’avion qui larguerait sur une aire à Pointe Noire, le train de type sud américain avec moteur électrique sur chaque boggie qui remonte des rampes à huit pour cent et sagement, la voie ferrée classique l’emporte. Elle désenclavera la région en servant aussi aux trains de passagers et de fret.

Nous allons donc créer un chemin de fer de deux cent soixante dix kilomètres environ, qui rejoindra le Congo-Océan près de Dolisie, et sera précédé, dans la zone très montagneuse, d’un téléphérique de soixante douze kilomètres.

Ralph, redevenant Raoul a retrouvé une activité à sa mesure; il est chef de centre à Mossendjo au milieu du projet. Devant une table, avec quatre ingénieurs techniciens de haut niveau on prépare la réalisation.

Avant d’aller plus loin, il faut expliquer comment on bâtit un téléphérique suivi d’un chemin de fer dans une région équatoriale hostile. Revenons à nos études de chemin de fer en forêt au Nord et en savane arborée au Sud.

Les avions B 14 et B 17, ces anciennes forteresses volantes de la guerre mondiale, sont équipés pour photographier à haute altitude : six mille mètres. Chaque photo doit recouvrir des deux-tiers, la suivante, comme les tuiles d’un toit. Dans ces pays à forte hygrométrie, le ciel est toujours voilé, sauf pendant une semaine en saison des pluies. Il faut faire vite pour photographier, aux rares moments où la forêt est clairement visible Elle permettra d’identifier le relief en accordant une épaisseur à la forêt : quarante mètres.

Des équipes de géomètres qui font aussi partie de l’Institut Géographique National, le célèbre IGN lancent une grande opération de nivellement et placent des bornes qui vont servir de bases. Ces géomètres sont très disciplinés, comme les militaires qu’ils furent du temps du Service Géographique des Armées, le SGA. Le garde à vous est de rigueur. Leur cheminement géodésique était sur ce projet, de deux mille cinq cent kilomètres pour rejoindre deux points parfaitement connus. Une erreur de calcul de moins de deux mètres dans leur bouclage, les a longtemps contrariés.

Avec ces bornes et les photos en mains, de nouveaux géomètres indépendants liés au projet vont piquer les coins de bandes. A chaque extrémité d’une série de photos, un point topographique sera identifié aux instruments, puis avec précision, placé sous stéréoscope ; cette lunette double laisse apparaître le relief sur deux photos voisines, en 3D dirait-on maintenant. Ces professionnels vont avec une aiguille marquer un point qui n’entrera pas dans le sol comme un puits, ne sera pas en l’air comme un ovni, mais sera juste au niveau du terrain identifié. Il faut une main légère.

Ces bases vont maintenant permettre à la machine de travailler. C’est un restituteur photogrammétrique. Le plus simple fut inventé par Poivilliers, un génie. Les stéréographes numériques, sont plus compliqués, mais automatiques.

L’appareil va dessiner un grand plan indiquant les courbes de terrain : montagnes, cols, plateaux, thalwegs, plaines, ruisseaux, rivières compris, en tenant compte d’une estimation de la canopée : quarante mètres plus haut. Il est possible, alors, de déterminer le tracé de la voie ferrée, qui sera topographié par les équipes de géomètres, travaillant souvent loin des pistes connues. Les culées d’ouvrages, comme les ponts, sont reconnues par des sondeurs et les angles de talutage des tranchées, expérimentés par des physiciens des sols (essais Proctor et limites d’Atterberg etc.).

Le premier travail de Raoul était d’ouvrir des voies d’accès aux camions tous terrains Unimog, à travers montagnes et marécages. Des caillebotis de rondins étaient placés sur les marécages. Quand les lianes rompaient, des mètres cubes de bois s’amoncelaient devant la calandre. On sortait l’engin embourbé au treuil. Les lourdes machines de forage franchissaient les ravins par des blondins fixés aux grands arbres ; Quelquefois circulant sur leurs câbles et poulies à quarante mètres de haut, c’était spectaculaire ! Les sondeurs italiens animaient un spectacle qu’ils adoraient mettre en valeur, dans la tradition de la Commedia Del Arte. Retour du chantier, on mangeait la " pasta " agrémentée de corned-beef où d’une boite de sardines, et on trouvait ça bon ! La cuisson des pates était un cérémonial à la seconde près !.

L’étude des culées d’ouvrages et la recherche des carrières de ballast aux explosifs, occupaient d’autres équipes. La mécanique des sols et des roches qui définit les angles de talutage sont les seuls sujets où Raoul manque de connaissances. Il passera son prochain congé en France consciencieusement, au laboratoire, rue Brancion, pour l’étudier.

Il faut dire que les ingénieurs des diverses sociétés n’étaient pas chauds pour encadrer leurs spécialistes dans un pays aussi hostile ; Raoul, le seul représentant du maître d’œuvre devient le seul responsable direct du projet et des équipes. Personne ne pourra plus se plaindre du mauvais avancement des études.

Pendant ce temps la vie continue ardente et joyeuse, au centre de Mossendjo, où Raoul est installé dans le presbytère. Une nuit, l’entrée se transforme en hôtel de luxe par des calicots soigneusement imités ; à une soirée cravatée, tous les amis arrivent torse nu avec la cravate fixée dans la peau par une épingle de nourrice ; les meubles partent seuls en voyages insolites où se retrouvent au petit matin à l’envers, au milieu des cris de stupéfaction du personnel de maison. A l’aube, cependant, on se salue en franchissant un bac à cinquante kilomètres de là. Le soleil se lève le matin à six heures et se couche a dix huit heures toute l’année. L’action prime tout.

Après un an d’une folle vie professionnelle, une décision tombe de Paris et de l’atmosphère ouatée des conseils d’administration. La Société dispose d’un permis de recherches sur des collines de manganèse, en plein cœur du Sahel, entre Gao et Niamey. Raoul est pressenti pour diriger cette courte mission de reconnaissance. Il accepte, ce qui lui fut vivement reproché sur le projet, mais l’appel de l’aventure est le plus fort.

Il va découvrir l’Islam.

Islam et Sahel

L’aventure commence à Paris, rue Saint Dominique, sur une table de marbre, dans le bureau d’un très grand dirigeant des Mines. Certaines personnalités brillantes imposent un respect sans limite.

Monsieur Georges PERRINEAU était d’une extrême courtoisie. Quand il demanda à Raoul s’il avait observé la corrélation entre tels points du gisement de manganèse, et tels autres, celui-ci resta pantois. Trop proche du terrain, on ne peut avoir de vue d’ensemble. Comment un grand patron accède t’il à sa haute fonction ?

C’est d’abord par ses qualités humaines qui ne s’apprennent pas dans les écoles, mais s’ajoutent à une brillante compétence. Monsieur X était " bottier ". On appelle cela du charisme mais si l’un le pratique sans calcul, l’autre doit savoir apprécier, sans calcul non plus. ! Raoul a rencontré d’autres responsables dont les peaux d’âne accumulées dans leur jeunesse n’étaient qu’un leurre. Par exemple, celui qui a scotché les plans du tracé de chemin de fer sur le mur opposé à son bureau, pour avoir une vue d’ensemble à la jumelle depuis son fauteuil, en est l’illustration modeste et amusante. Il ne sera jamais grand patron, heureusement. C’était un farfelu.

La mission s’organise : command-cars " en état douteux, récupérés de la dernière guerre puis des recherches du fer en Mauritanie ; matériel de forage arrivant de Suède ; approvisionnements en explosifs identifiés ; appareils topographiques ; premier contact avec les mineurs du BRGM qui l’accompagneront. C’est un inventaire à la Prévert !

Après deux mois de préparation, c’est parti.

Commençons par un essai géopolitique simplifié.

Les conquérants arabes ont investi en des temps lointains le désert en arrivant du nord par le Sahara : ils ont apporté l’Islam qui aide à supporter la misère et amener l’esclavagisme. Les populations concernées sont très hiérarchisées. On rampe et on embrasse la main du chef, comme chez le Lamido qui dirige le Nord-Cameroun et dont les descendants issus de son harem continueront la lignée. Cela n’aide pas à une évolution des esprits : la qualification " meskine " comme mesquin, est arabe.

Leur conquête s’est arrêtée aux limites de la forêt immense qui borde la mer depuis le Liberia et la Côte d’Ivoire et franchit largement l’équateur thermique qui est au parallèle cinq degrés Nord : c’est la Basse Côte. Leurs chevaux et leurs chameaux auraient été décimés par la trypanosomiase, cette fameuse maladie de la glossine tsé-tsé qui empêche en première période tout sommeil, jusqu’à effondrement, d’où son nom de maladie du sommeil. Ces mouches pullulent sous le couvert forestier mais sont rarement contaminées.

Dans ces forêts, subsistent des populations animistes, qui vivent peureusement, en ethnies familiales écrasées par leur environnement hostile. Les générations se perpétuent en allant voler les femmes du voisin, à la source du marigot.

L’ouverture coloniale, très ambitieuse, apportait un profond changement des coutumes et des mœurs. La première génération a découvert la roue ; elle a vu arriver ensuite les autos, les radios, les avions, émanation de ces grands sorciers blancs dont les dieux étaient représentés par des évangélisateurs, auxquels ils apportèrent leurs fétiches, dont on fit des autodafés purificateurs, au grand dam des ethnologues. Les formateurs chrétiens catholiques et protestants nordiques se disputèrent cette clientèle..

Vêtus de morceaux d’écorces aux fibres martelées, ils apprécièrent la douceur des tissus qui les habillaient maintenant. Ne parlant que le dialecte de leur tribu, ils adoptèrent cette nouvelle langue véhiculaire, le Français, qui leur apportait la connaissance par ses écoles et ses livres. Ils l’assimilèrent très bien et prirent ainsi une position dominante dans l’administration et tout ce qui s’approche de l’intellect, formant ainsi une élite compétente et complaisante. En essaimant ces nouveaux gestionnaires dans les tribus islamisées du désert, qui les méprisaient, c’était un choc républicain inacceptable, source de conflits. Les Français comprennent tout et subissent ensuite les conséquences de leurs erreurs.

La deuxième génération découvre tout ces acquis en naissant, ce qui lui semble naturel; Elle va même exprimer sa rancœur si cette facilité de vie s’effondre, et peut prétendre qu’on a volé la richesse en partant. Le temps des grands sorciers blancs est terminé. De nouveaux mysticismes, mieux adaptés a leur mentalité, comme les Dzambi Bougies font jour : Dzambi c’est Dieu et une bougie s’allume. Vous commencez à comprendre, le Vaudou arrive. Le syncrétisme entre catholicisme et animisme coule de source des deux côtés de l’Atlantique

Dans une religion, il faut un prophète, un gourou, un chaman où un houngan. Voilà le premier houngan du Vaudou ! C’est un ancien boxeur professionnel qui a le sens du spectacle, et porte la mitre et la crosse comme un évêque. La liturgie catholique est seule a s’habiller de façon chatoyante, et a une forte symbolique qu’on ne renie pas ; on l’imite, ce qui ne semble pas trop déplaire aux missionnaires.

Le prosélytisme de ces nouveaux fidèles permet dans l’enthousiasme de bâtir des chapelles en planchettes éclatées dans un temps record. Les adeptes vont s’y entasser, danser et chanter dans un rythme de plus en plus violent. La bougie brûle, et avant qu’elle s’éteigne, une femme sera possédée par Dzambi en se roulant au sol, les yeux exorbités. Quel charmant spectacle pour les machos !

Les magiciens civilisés devraient venir donner des leçons. Une nuit, Alaoulé découvre de grosses branches d’arbres immenses qui barraient la piste, et trouve les familles d’ouvriers, terrorisées. Il prend son fusil et fonce dans le bosquet en criant. Dans la nuit noire : courses, feulements, branches brisées, fuite éperdue. Il aurait vaincu le Vaudou, s’il ne s’était pas trompé de cartouches.

Les islamisés qui n’avaient accès à la mer que par le " melting pot " voulu par l’administration républicaine n’appréciaient pas d’être gouvernés par ces nouvelles élites chrétiennes, plus formées qu’eux, qui étaient auparavant sauvages.

Cette même administration démocratique d’inspiration, heureuse d’avoir œuvré à la création de si belles entités, quitta ces pays sur la pointe des pieds en laissant ces pétards ethniques prêts à s’allumer: gouvernements et santé publique entre autres.

Pour conclure lorsque l’un de ces pétards explose, n’est-on pas piégés par pusillanimité ? Nos intérêts auraient des relents de colonialisme, cédons ! Les principes démocratiques interdisent les choix et les décisions qui nous rendraient coupables. C’est une triste conclusion, démagogique qui ne répond pas à l’ampleur de leurs problèmes.

Raoul est maintenant à pied d’œuvre au Sahel, aux limites sud du Sahara.

Il se découvre en pays Peul, où les vieux ont des cheveux blancs, ce qui est nouveau pour lui. L’élevage est important dans ce climat chaud et sain. Les Songhaï, une tribu de seigneurs assez fine, venant sans doute d’Ethiopie, possèdent les grands troupeaux de zébus, les bœufs à bosse, qui sont gardés par les bergers Bellah depuis des siècles. On a essayé en vain d’émanciper cette tribu inculte, par un partage du cheptel avec leurs maitres. Impossible ! Même en leur construisant des cases modernes Ce sont les " gitans " du désert, dans leur cadre de vie ancestral, et ils y reviennent toujours. Seuls ils sont perdus, s’insurgent et retournent vers leurs maîtres et leur troupeau.

Une soixantaine d’entre eux est embauchée pour bâtir le camp de base en pisé, mélange classique de paille et d’argile tassée en briques crues. Le pisé était bien utilisé chez nous, antan. Ce matériau limite un peu la chaleur torride, bien qu’à l’intérieur toute pièce métallique, comme, par exemple, un couvert de table, brûle les doigts. Le bâtiment limite aussi les vents de sable qui stagnent comme de l’eau, à toute hauteur ; on ne peut plus ouvrir la bouche pour manger, sans en avaler, et les lits en sont emplis.

Dans ce pays, il faut boire quinze litres d’eau par jour. Les mineurs de Ch’Nord commencent à la bière et créent une plate-bande dans le sable, avec les bouteilles vides. Ils cesseront vite. Des douches sont installées en plein air. La nuit, les hyènes et les chacals sont attirés par cette humidité. On entend des ricanements et bien que bordés sous des moustiquaires, fusil chargé, on tire au jugé pour les éloigner, en soulevant un coin du voile. Réveil brutal pour toute l’équipe. On s’habitue !

En roulant en " command-car ", le jour, on ne peut pas ouvrir le capot ou changer un pneu. La température est supérieure à soixante dix degrés au soleil. Le chantier commence sur la colline chargée de manganèse noir, par des saignées ouvertes à l’explosif. Vers dix heures du matin, il est impossible de saisir les outils brûlants. On travaillera en fin de nuit, et jusqu'à cette heure fatidique du soleil au zénith..

Le personnel est nourri par des bœufs achetés aux peuls. Pour s’attirer les bonnes grâces des mineurs, un camion brinquebalant apporte souvent en cadeau un magnifique filet de bœuf. Quand on achète un bœuf, les Bellah protestent; on l’a payé trop cher. Ils en feront un jour la démonstration ; on leur donne cinq francs CFA et ils reviennent joyeux et palabreurs en encadrant un bœuf efflanqué avec ses immenses cornes blanches.

Le médecin régional vient examiner les ouvriers. Tous sont atteints de l’infection du tabès de la syphilis. Raoul commence à appliquer un traitement de choc. Il a dans sa trousse de grosses aiguilles qui devaient servir à formoliser les bébés gavials, ces caïmans herbivores qui pullulent dans le fleuve Niger. Changement de destination, ces seringues serviront à traiter les malades, par injection d’un produit épais à base de bismuth. Chaque ouvrier se couche sur le ventre dans le sable, Raoul s’installe sur son dos, et pan dans la fesse. Les mineurs de " Ch’Nord " trouvent le spectacle attrayant, l’ingénu non.

Le ravitaillement impose des déplacements sur Gao et sur Niamey, au bord du fleuve Niger. Dans ces villes, on couche sur les terrasses, en discutant avec le voisin d’un lit à l’autre. Si l’on dispose d’électricité et d’un bon ventilateur, on s’enroule dans un drap ou une couverture mouillée. C’est frais un moment. Sur Gao, l’ambiance est encore plus sahélienne. C’est la porte du Sahara. La Croix du Sud, en bas d’un ciel immense de brillantes étoiles crée un envoûtement à la solitude. Justement, les Compagnies Sahariennes de militaires français, encadrant des touareg sont encore là. Ces chefs se rencontrent rarement et passeront la nuit tranquille, à jouer de l’harmonica. Ils ont les jambes noircies jusqu’à mi mollets par la graisse du cou de leur chameau qu’ils guident de l’orteil. Ce sont les vrais pieds noirs. A l’entrée de l’Hôtel de l’Atlantide, chacun d’eux est gardé par ses hommes bleus, patibulaires et déterminés, les bandes de cartouches en croix sur la poitrine. " Attila ou je prends feu ". C’était l’époque heureuse de la " pax republica ". Les touaregs étaient calmés et fiers d’être utiles à la vie au désert..

Un soir, Raoul va au cinéma en plein air de Gao et prend une place chère, à un prix qui ferait sourire. Il franchit au sol les fagots de bois qui servent de siège aux "meskines " et monte de terrasse en terrasse jusqu’au " ring " qui domine la cabine de projection.

De là, il observe les touareg blancs qui circulent enlacés par le petit doigt, leurs amples vêtements rehaussés du poignard et de bijoux d’argent, avec la croix d’Agadez en pendentif. Il voit aussi leurs femmes, magnifiques, souvent blondes, et blanches de peau. N‘approchez pas, cette race doit rester pure au milieu d’une population noire. Pour le touareg traditionnel qui vit sous la tente, et qui partira sans crainte dans le désert, pour rapporter le sel du Taoudenit, les belles femmes doivent être très grasses (bélé-bélé). Les plus opulentes sont incapables de bouger, et on devra les charger sur des camions pour les déménager d’une place à l’autre.

Le monde des amours en pays d’Islam est très ambigu. Les navigateurs du désert vivent de longs voyages solitaires. Le mariage marque le terme d’une réussite sociale. Les vieux nantis marient les jeunes femmes qu’une autre famille, intéressée par leur bien, a réservées. Les jeunes se débrouillent ; l’homosexualité n’est pas taboue. Les symboles phalliques de toutes tailles, en bois d’ébène tropicaux, témoignent de cette richesse. Ce ne sont pas des objets touristiques. La joie de vivre sans contrainte des populations noires, leurs chants et leurs danses résolvent bien des problèmes, mais chacun restera finalement chez soi, sans métissage. C’est aussi connu sur tous les bords de la Méditerranée, voire sur l’Atlantique latine, chez des civilisés qui protègent leur patrimoine. Un portugais ami, commerçant arrivé, épousa sa nièce avec fierté. Il l’appelait " mon neveu " dans son français approximatif.

Arrive à Raoul une aventure non souhaitée, qu’il raconte prudemment, après prescription ! L’étude du gîte minéralisé se poursuit. Les mineurs du Nord ont bien conduit leur travail et en bons professionnels ont été généreux en consommation d’explosifs. On arrive à rupture de stock ! Quand on a la charge d’une mission aussi lointaine, le chômage technique n’apporte pas la solution. Il convient de résoudre le problème, c’est tout. Le fournisseur d’explosifs est à Bamako au Mali. Raoul s’y rend vite par avion, mais ce commerçant refuse de livrer de suite. Il a seulement un gros camion en attente de départ sous huitaine, pour cette destination lointaine. Alors, chargé de deux lourdes valises pour lesquelles il a payé honnêtement le supplément de poids, Raoul a repris son avion : Ségou, Mopti, Goundam, Gao. Quatre atterrissages, avec en face dans les filets de fret, deux grosses valises écrasées, bourrées d’étranges allumeurs. Connaissant bien ces produits, et leur danger, il ne sourit même pas.

Pour compléter le spectacle, un brave Général est dans l’avion. Il vient inspecter à Goundam, l’aéroport de Tombouctou, et ordonner le dernier défilé des troupes du désert, avec quatre cent chameaux Il est accueilli par des centaines d’hommes bleus. Avec leurs lances, ces guerriers noirs bleuis par la déteinte de l’indigo, donnent vraiment l’impression d’une force puissante et bien contenue adaptée au désert. C’était beau, la FRANCE souveraine.

Le chantier peut continuer jusqu’à réception des six tonnes d’explosifs, amenés par un camion qui en transporte beaucoup plus. Ce " beaucoup plus " d’une vingtaine de tonnes a une destination détonante. La culture de base du pays est le mil, et des myriades de mange-mil, ces oiseaux " mouches " qui forment des nuages noirs rapides, dévorent ces plantations. Pour les détruire, on place une charge explosive dans un arbuste épineux, et Boum ! Quand le nuage passe à proximité, il est détruit par l’onde de choc.

Puisque nous parlons de mil, racontons une réalité qui va valoir à Raoul bien des inimitiés. Si le cheptel animal est important, c’est que la vie humaine est saine. La monoculture du mil est toujours très menacée, par la sécheresse, les criquets et les mange-mil. Les disettes sont répétitives, ce qui semble anormal dans ce pays d’eau et de soleil. Les cultures maraîchères poussent ailleurs dans les mêmes conditions climatiques. Ces régions sahariennes étaient placées sous l’autorité des Officiers des Affaires Indigènes. Triste qualificatif renié, mais généreux quand même! Ils apportèrent une solution. Connaissant bien le pays, avec beaucoup d’expérience, ils construisirent de grands silos en pisé remplis de mil, qui étaient accessibles par des meurtrières, à forcer en cas de famine, pour qu’un seul homme y pénètre, se serve, et nourrisse les familles. Tous survivaient ainsi sans problème, jusqu’à la récolte suivante. En abandonnant ces régions, les stocks de mil sont devenus le pactole momentané des nouveaux dirigeants du pays qui les ont vendus. Maintenant, quand il y a disette on implore les journalistes surtout européens, qui ne sont pas mécontents de pleurer sur le sort de ces malheureuses populations, et alimentent les medias. Triste désinformation !

L’explication oiseuse du réchauffement climatique apporte aux peuls une justification aux aléas supportés en l’absence de pluies : C’est " manière de blancs" qui provoque la faim. Qu’ils paient et nous donnent la nourriture.

Les défaillances coloniales s’étalent ailleurs.

L’important cheptel de bovins et ovins vient boire régulièrement dans le grand fleuve, le Niger, dit Haoussa sur la rive droite et Gourma sur la rive gauche. Le sous-sol du Sahel étant riche en eau fossile, un organisme spécial, Hydraulique Pastorale, a creusé des forages mus par éoliennes, qui étaient censés ouvrir de nouveaux horizons à l’élevage. C’était une bonne idée, sauf qu’on ne pouvait s’y fier, un troupeau ne pouvant survivre au delà de deux jours sans s’abreuver, et le vent ne soufflant justement pas à la période critique de manque d’eau. Les éoliennes, et leurs bacs sont devenus le paradis de toute la faune sauvage, antilopes, phacochères, sauf les girafes qui restaient à l’abri au milieu des argousiers épineux, dont elles mangeaient les bourgeons par dessus pendant que les chèvres grimpées dans les branches leurs disputaient cette rare verdure par dessous.

On allait y chasser, comme d’autres, tel ce chauffeur de camion lourd chargé qui coursait une antilope à pleine vitesse. Avec un " command Car " on pouvait poursuivre une laie pour lui prendre un marcassin, une gazelle qu’on choisissait, et on regardait les lions avachis d’un excès d’eau et de viande fraîche. Ce n’était plus de la chasse, mais du massacre, et Raoul l’ingénu n’a plus jamais touché un fusil.

Cette mission de six mois a été très riche en découvertes du Sahel, et laisse de grands souvenirs à l’ingénu. En conclusion, les populations Peuls ne manquent pas de protéines animales, le cheptel et la faune sauvage étant très riches, mais, seul, le sable aride, loin du fleuve, limite leurs champs de mil. Le sel gemme du Taoudenit complète facilement leur alimentation.

C’est l’opposé dans la grande forêt équatoriale où " la viande " manque dramatiquement, mais où le sol est riche de ses plantations luxuriantes. Le sel marin est importé de loin, comme autrefois, chez nous, du temps de la gabelle.

La nature africaine n’est pas compatissante dans ses excès.

 

ENLEVES-TOI DE MON SOLEIL

Raoul l’Ingénu, a vu notre même beau soleil, toujours, source de vie facile où pénible, sous divers angles. Il vécut d’abord entre les équateurs, thermique et géographique. Les sept cent kilomètres qui les séparent, c’est le domaine de la grande forêt primaire, inamovible et éternelle, sous un soleil que la vapeur d’eau rend invisible, mais qui laisse passer les infrarouges du spectre. Dans ces pays, le ciel est plombé et chauffe fort la tète; C’est bien l’EFFET DE SERRE naturel formé par un épais écran de vapeur d’eau de nuages lourds, Ne croyez pas qu’à la longue, on trouve très chaud le climat sous l’équateur. Le corps humain s’habitue à tout et l’homme est ainsi fait qu’il supporte la chaleur lourde et qu’à dix huit degrés il claque des dents et allume des feux de cheminée. Ce sont des pays où l’on ne bronze pas. Quelle que soit l’importance de la couche de nuages lourds qui provoque ce remarquable effet de serre, n’attendez pas de changement climatique.

L’Ingénu a beaucoup fréquenté les déserts sahariens du SAHEL, au Sud du tropique du Cancer. (Dakar, Niamey, Bamako, Agadez). Le climat y est désespérément sec malgré quelques orages terribles. Le soleil n’est freiné par aucun écran. La chaleur est insupportable, sans ombre et l’on a peu de défense contre les ultraviolets. Bronzage garanti. On se protège par des abris en banco (le pisé de nos ancêtres) et d’amples vêtements qui freinent la transpiration, voire le froid de certaines nuits. L’eau est plus précieuse que le feu pour entretenir la vie. Supplice de tantale, il a beaucoup plu dans un passé lointain et l’eau fossile est souvent abondante a plus de deux cents mètres de profondeur. Pour le réchauffement climatique, vous plaisantez ! Les rares orages violents s’évaporent aussitôt. Vents brûlants chargés de sables secs pulvérulents en suspension, portés quelquefois en altitude vers nos pays tempérés. La chaleur reste maximale (jusqu’à 70 degrés au soleil) et la plainte physique des humains, justifiée et rémanente. La vie de la faune et de l’homme se développe encore plus avec nos progrès sanitaires, même si, alors, les capacités des sols ne suffisent plus à nourrir les populations.

Au Nord du Sahara et de l’Atlas, la mer Méditerranée joint au soleil, cette eau précieuse et forme un Eden tant chanté et pleuré par les natifs, dont les pieds-noirs. Le ciel est d’un bleu aussi pur qu’au Sahel, (toutes les couleurs du spectre) mais les premiers froids nordiques se font sentir.. Le contraste entre temps chaud (environ 45 degrés) et le froid hivernal (environ moins 15 degrés sur l’Atlas) est vivifiant. Une végétation entretenue facilement, assure l’avenir des espèces. On peut y vivre heureux dans une tradition immuable. La Mitidja était, disait-on le jardin de la FRANCE. La vallée des roses (du Draa) dans l’Anti-Atlas marocain est aussi un paradis.

L’Europe méditerranéenne profite aussi de ce climat idyllique que de nombreux résidents et touristes apprécient (Grèce, Italie, Sud France, Espagne). Pour l’Effet de Serre, vous repasserez. Le ciel est d’une luminosité constante. Qui s’en plaindrait si, hypothèse ridicule, ce réchauffement climatique devait déborder plus au Nord.

Passons à nos climats continentaux, dits tempérés, déjà plus rudes. On y redoute les excès climatiques, chauds où froids, venus des quatre points cardinaux et les contrastes rapides entre eux provoquent quelquefois des dégâts. C’est un monde de passables turbulences climatiques Comment dans des conditions si mouvantes, cerner correctement les variations permanentes climatiques ? Au lieu d’accepter cette situation dans la sagesse ancestrale qui régnait dans les régions, la diffusion planétaire de l’information vient de créer une nouvelle religion accusant l’homme, dit moderne, de provoquer un nouveau phénomène par sa consommation exagérée des énergies fossiles. : L’EFFET DE SERRE, argument vague, vaseux et en vogue qui dilue la réflexion raisonnée et amène la pensée unique coupable, toujours dangereuse.

Nous allons, dans cette biographie, aborder d’autres pays plus nordiques. Nos réflexions seront toujours les mêmes. Elles ne peuvent que confirmer notre humilité devant la nature et refuser que des cassandres se permettent, sans risque d’être contredits, d’augurer de l’avenir de la planète. Respectons-la mieux, au lieu de la salir par nos déchets imputrescibles, mais n’accusons pas le carbone d’être de notre responsabilité.

Le carbone fait partie d’un cycle qui enrichit les milliards de mètres carrés de feuillages et les milliards de tonnes de nos forêts immenses, et de nos champs. L’observation est simple: tout ce qui brûle volontairement où non et se consume, est chargé en carbone. Nos pompiers dévoués peuvent vous en établir la liste qui va des feux de forêts (près de 30% de carbone) à l’écobuage paysan, en passant par l’incendie volontaire des pneus faits de caoutchouc et de noir de carbone. Parlons caoutchouc ! Il provient de l’hévéa dont la sève blanche, abondante, s’écoule d’une scarification du tronc de l’arbre, cultivé en Extrême Orient et en Afrique au LIBERIA et pays alentour. Ces arbres cultivés par de grandes Sociétés comme FIRESTONE où MICHELIN sont aussi des puits de carbone. Cela ne contente pas les écologistes qui préfèrent conserver la nature à son état sauvage. UNILEVER emploie sur chaque grande plantation de palmiers à huile, des dizaines de milliers d’ouvriers. Les hévéas et les palmiers ne sont-ils pas des arbres?

Nos énergies fossiles : charbon et pétrole comptent bien peu dans cette balance et rappelons nous la maxime de Lavoisier qui est une loi de la nature :

" Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme "

Chemin de fer qui marque

Repartons sur le tracé du chemin de fer congolais que Raoul retrouve avec plaisir, après le Sahel, et qui s’est poursuivi sans histoire. Cela ne va pas durer !

Il retrouve sa maison dans le presbytère de Mossendjo loué aux missionnaires. Il est chef de famille ; deux enfants sont nés difficilement, la première, après six ans de mariage. Pourtant, Raoul avait déjà un fils métis, qui avait été adopté cinq ans plus tôt. Il supportait mal cette responsabilité de géniteur..

Un jour, le Père Graal de la mission catholique, qui porte un nom bien prédestiné pour un breton est heureux d’une nouvelle conversion. Un chef lui a donné ses attributs fétichistes que voilà. C’est grand comme un carton à chapeaux en écorce. A l’intérieur un crâne humain curieux. La place des yeux a été remplie par des miroirs brillants, et au milieu du crâne, un trou circulaire béant est maculé de goudrons marrons. La consultation de l’oracle et de ses esprits devait se faire dans un climat impressionnant de peur. On referme la boite avec un sentiment de malaise ; il faut la brûler de suite.

La vie reprend virile et gaie.

Un ingénieur des premières études, Monsieur DEWAVRIN apprécie cette ambiance de pionniers. C’est un épicurien. Il a un excellent appétit et mange avec Raoul des poulets entiers et des omelettes monstrueuses. Il avoue " Si je devais me priver, la vie pour moi n’aurait plus de charme " et lorsqu’on lui demande son poids : " Zéro tonne cent vingt cinq " répond-t’il en souriant.

Nous abordons l’étude du téléphérique. A l’opposé du chemin de fer qui coule avec des rampes de moins de deux pour cent, il faut layonner droit, de plus haut sommet en plus haut sommet, en franchissant les vallées, pour limiter le nombre important de pylônes. Ce sera sur soixante douze kilomètres, le plus long téléphérique du monde. VEWAVRIN veut participer à cette reconnaissance difficile : il monte vers les crêtes, descend dans les ravins, remonte, redescend dans le sous-bois glissant et soudain, c’est terrible, il pompe l’air, il est mort.

Le retour dans la grande forêt est infernal. Un passage permettant de ramener un tel poids dans la foret, doit être retaillé. On avait coupé les arbustes à mi-hauteur à l’aller. Les porteurs pour se donner du courage sans chanter comme à leur habitude s’interpellent de l’avant " bonpiti " à l’arrière " machi ". On cherche longtemps cette phonétique qui semble familière. On trouve enfin ; c’est " bon appétit " et " merci ". C’est de l’humour noir !

Le corps est chargé sur un pick--up fourgonnette, et a l’arrivée, le Père Graal tourne autour pour le bénir. Le chauffeur a ramené de ce voyage des poules enfermées dans des paniers à claire-voie. Ce goupillon les affole, elles caquettent et perdent leurs plumes. Devant ce spectacle insolite, morts de fatigue et de peine, on part d’un fou-rire inextinguible. Vous étiez très aimé, Monsieur DEWAVRIN, vous étiez un bon vivant un peu rabelaisien, et vous avez certainement compris et apprécié cette dernière pirouette.

Une telle situation ne se reproduira pas. Au milieu du tracé du téléphérique, un rare grand plateau herbeux semble propice pour ouvrir un terrain d’aviation. Pour y arriver, des géomètres aventureux vont prendre en mains deux petits bulldozers, des Cat D6 et s’enfoncer dans la forêt. Pour les ravitailler en gas-oil et transporter la nourriture des hommes, c’est simple. Ils ont au sol une radio et l’avion Cessna aussi. Il suffit d’enlever une porte, le charger et larguer au point où l’on apercevra une fumée qui franchit la canopée s’ajoutant au contact par VHF. C’est fait et cela fonctionne bien, puisqu’une partie suffisante arrive au sol sans casse : Les jerrycans, les bâtons de manioc, et même certains paquets d’œufs. Le largueur est un jeune facteur d’Arcachon venu voir ses parents. Passionné d’aviation il n’imaginait pas pareille aventure. Ses parents ont écrit plus tard l’avoir perdu dans un accident d’avion, et que son frère aîné avait subi le même triste sort sur un autre avion. Certaines familles sont lourdement marquées par le destin.

Le tracé franchit la Louessé, une rivière large de plusieurs centaines de mètres, en aval d’une très belle chute, d’environ huit mètres de haut. Ce beau point s’appelle Makabana et deviendra une bourgade par la suite. C’est mérité. Pour l’instant, Raoul y est seul, avec un canot d’aluminium à moteur. Pendant des années, il a marché sur les pistes d’éléphants même fraîches, sans jamais les rencontrer. Et soudain, les voilà ! Ils sont des centaines. Le moteur hors-bord les affole. Ils sont dans l’eau à quelques mètres, les oreilles écartées, et la trompe en attaque entre les lourdes défenses des mâles qui font face à ce danger inattendu. Le passeur fou de joie crie " bonjour Eléphant ", et les petits tentent de remonter sur la berge grasse d’où ils retombent patauds dans l’eau. Un chasseur imbécile aurait pu tirer et provoquer une débâcle. Pourquoi cette assemblée générale ? Mystère de la nature ! Il faut dire, que pas loin, une falaise d’argile, à vif, leur servait de médicament. Vous êtes surpris ? Pendant la Grande Guerre, des français, malins avaient mélangé de l’argile à la moutarde. Ce furent les seuls soldats à ne pas contracter le scorbut.

Raoul, qui fut chasseur, pardonne aux autres, parce que certains d’entre eux sont malins. A quelques kilomètres de là, au bord de la Louessé, on discernait, sur les photos avion, une belle savane réputée pour abriter des troupeaux de buffles, qui après écobuage viennent brouter l’herbe tendre. Ces chasseurs se laissent porter par le courant, en suivant la berge. Chut ! Ne faisons aucun bruit qui signalerait la présence de l’homme arrivant face au vent. Soudain, un choc épouvantable ! La pirogue est cassée, les chasseurs sont dans l’eau, et les fusils au fond. C’est simplement un caïman qui dormait sur la berge et a plongé au mauvais endroit pour fuir. Le caïman n’est pas dangereux en eau profonde. C’est seulement en prenant appui sur un haut fond et d’un coup de fouet de la queue qu’il pourra se saisir de la femme qui lave son linge où rouit son manioc. Bonnes âmes, rassurez-vous ; il n’y aura pas vengeance après ce délit. Ce saurien deviendra sacré puisqu’il enserre maintenant l’esprit d’une personne. Si vous le rencontrez, surtout, ne le tuez pas ! Vous seriez accusé de meurtre. Puisque nous parlons des caïmans, Raoul a repéré sur photos dans la savane un petit lac bien rond, ceinturé d’arbres. Ce pourrait être un impact de météorite ? Il va voir, et en ressortira doucement à reculons. Ce lac était infesté de caïmans qui s’entrecroisent dans l’eau boueuse. L’un des collaborateurs de Raoul revenu d’Indochine aimait les omelettes d’œufs de caïmans qu’il récoltait dans le sable. La coquille est molle comme un parchemin et le blanc gluant et sans jaune. Bon appétit merci !

Après cet intermède cynégétique, revenons au travail.

La difficulté du projet était l’éventualité d’un tunnel ; il est dur à étudier et bâtir surtout en pays neuf, demande beaucoup de technique, d’engins, et coûte très cher. Rappelons nous du Congo-Océan ! Par hélicoptère, en faisant des points fixes sur les cols séparant les bassins versants, on reconnait à l’altimètre de précision tous les points de passage. Tous conviennent, sauf un. On n’évitera pas de creuser un tunnel ! Ce sujet hante Raoul. Il cherchelongtemps une variante sans tunnel, et la trouve. En suivant la rive gauche de l’Itsibou, une petite rivière, en pleine forêt primaire, il peut éviter l’ouvrage. Il est libre de ses études, mais soixante kilomètres de lever au théodolite, n’est pas une petite opération pour un homme seul. Qu’importe, la gloire est au bout de ce travail. La preuve est faite, en présentant un plan complet, qui fait l’effet d’une bombe. Personne, malgré tant d’efforts et de missions aériennes n’avait envisagé cette hypothèse, la forêt masquant les détails. On vérifiera par hélicoptère !

Raoul reçoit le Président du Laboratoire de Mécanique des Sols de la rue Brancion, Armand MAYER, et lui fait visiter le projet. La dernière partie de sa visite se passera en hélico. Justement, le Sikorsky arrive. Ils sont cinq à bord. Le grand pilote belge de la Sabena s’excuse. Il a embarqué cinq cent litres d’essence, est en surcharge, et ne peut prendre encore deux passagers, qui doivent continuer leur visite par la piste.

Cela déplaît-il à ses amis d’études qui voulaient contrôler seuls ce nouveau tracé ?

A l’arrivée au presbytère l’hélico n’est pas là. Il a dû se poser en route, quand surgit un chasseur avec sa lance, qui a entendu un grand bruit et présente un morceau de papier brûlé. Le Sikorsky s’est crashé. On fonce en suivant les nouveaux layons, et en poussant aux fesses ceux qui manquent d’endurance. C’est fini, les corps brûlent. Le lendemain faisons un inventaire macabre, sur lequel on ne s’étendra pas trop. Il manque un crâne ! L’un d’eux aurait-il sauté ? Nouvelle recherche vaine dans les arbres de la forêt. Qui est qui ? Un rond sur un paquet de cigarettes américaines, c’est celui-ci ! Une clé d’hôtel à moitié fondue portant le numéro treize, c’est à celui-là. Clemens, Colonel des USA qui avait débarqué en héros sans dommage à Ste Mère Eglise s’est arrêté là.

Le Père Graal, mystique qui cherche encore le Saint Graal, bénit ce qui reste des corps avec son goupillon. A ce moment, revient en tête la vision incongrue de ce crâne rituel animiste qui fut extrait de sa boite d’écorces, et examiné avec une répulsion fétichiste ; ils se regardent, sans expression avec peut-être la même idée en tête. Il manque un crâne, brûle ! 

Raoul a tout tamisé, soudé les petits restes dans une boite en fer, et scellé le tout dans un massif de béton formant monument, au point de choc.

Chez nous, en Bourbonnais, la relation se nimbe de mystère et de pudeur. On décèle les sentiments de l’autre d’un regard dur où mouillé. !

Raoul pense que si l’Afrique s’éveille au chant du Touraco, ce gros volatile sauvage de la forêt primaire, avec une caisse de résonance creuse sur le bec, a dû être pompé par l’aspiration des pales d’un hélico volant trop bas, qui le survolait pour étude.

Plus de deux ans auparavant, ils étaient cinq autour d’une table.

Il n’en reste plus qu’un seul, lui. Il abandonne cette partie ingrate.

Raoul l’ingénu s’en va tristement. Il ne construira pas le chemin de fer.

L’aventure est à ce moment terminée.

Mine d’or réfractaire

Pourtant, il rencontre à Paris un de ses amis, méhariste et géologue qui fut l’un des inventeurs des grands gisements de fer de Mauritanie qui justifient nos aciéries en bord de mer : Fos et Dunkerque. Une Société Américaine WESTFIELD MINERALS, veut étudier la possibilité de relancer une mine d’or dans l’Anti-Atlas marocain.

" Vous êtes bien expérimenté sur les mines d’or ? Alors, c’est pour vous ! "

Après l’humide forêt équatoriale et le brûlant Sahel, voici l’air pur dans le djebel à deux mille cinq cent mètres d’altitude. Beau soleil l’été, la neige l’hiver, et des températures à moins quinze degrés. Après Marrakech, franchissez l’Atlas, passez Ouarzazate, suivez la Vallée des roses, celle du Dadès, pas celle du Dra, et grimpez : la mine de Tiouit, entièrement aménagée, c’est là. Le paysage est magnifique. Ces montagnes rouges agrémentées par des cheminées de phonolites noires, c’est aussi beau que le Colorado, vont prochainement dire des connaisseurs. Raoul qui redevient Ralph imagine cet autre pays qui est si loin ! On peut toujours rêver !

Première stupeur ! Comment vivent ces berbères, les Chleuhs sur la mine ? Ils s’installent dans des gourbis : c’est un cercle de pierres sèches, d’environ un mètre cinquante de haut recouvert d’une seule tôle usagée. On y entre à quatre pattes, comme dans les igloos des Inuits et l’on s’y enfume. C’est la première fois que Ralph voit une telle précarité depuis qu’il parcourt l’Afrique. Les ouvriers travailleront vingt six jours consécutifs, et redescendront quatre jours dans la vallée voir leur famille. Ce sont des gens très calmes et dignes, probablement différents des kabyles qui peuplent d’autres régions de montagnes..

Deux anecdotes les situent :

Lors de la prise d’indépendance du Maroc, ils jouaient aux petits soldats en défilant au pas. Leurs drapeaux marocains étaient en tête, portés fièrement par les très jeunes enfants d’un mineur Suisse qui grappillait le manganèse métallurgique de la montagne..

Un Chleuh peut quitter longtemps son ksar. S’il trouve un enfant au retour, c’est que celui-ci dormait dans le ventre de sa mère. Quelle poésie dans la vallée des Roses, où ils cultivent aussi certainement des choux dans leurs champs bien irrigués. Les cartésiens soupçonneux seraient plus heureux avec une telle philosophie. Quand on ne sait pas compter jusqu’à neuf, on a moins de problèmes.

Ichou, le gardien notable, dispose d’une maison à toit plat aménagée sur le carreau, ce glacis formé des terrains stériles extraits des galeries. C’est le régisseur respecté de la mine. Il lui fait d’abord visiter à Raoul le pays berbère et le présenter.

Dans la haute vallée, à mi-pente, une tribu noire, venue probablement du Soudan au temps de l’esclavage vit misérablement. Ils fabriquent des poteries rustiques, et restent en autarcie totale. On ne les voit pas. On les ignore. Ils sont sales.

La vallée est intensément cultivée. De nombreux canaux arrosent ici où la selon une distribution certainement très ancienne. Les crues doivent être rares, sous ce climat ensoleillé a deux pas du désert. Les haies séparant les parcelles sont faites d’églantiers, et les pétales de roses sont récoltés pour les parfumeurs français de Grasse où d’ailleurs. Dans les magnifiques ksour rouges de la vallée qui jaillissent de leur sol rouge vers le ciel comme une prière, le " cadi " les reçoit pour le thé dans un coin du labyrinthe.

La grande tradition musulmane se maintient ; ces notables sont les hobereaux dont leurs " sujets " essaient de baiser la main. Leur autorité est sans faiblesse. Ils ont le pouvoir de juger et de punir.

La frange prolifique non recensée est la médina. Ces gens, groupés, vivent en étroite collectivité, de petits métiers, source d’un artisanat patient, artistique et prolixe avec leurs " mahallem " les maitres-artisans. Les enfants pullulent, et sortent de partout. Ils sont curieux et différents de religion, musulmane où juive.. Leur séparation va s’affirmer au cours du temps, quand ils grandiront dans leur famille. Enfin, séparé, le mellah, quartier juif " sefardi " installé aussi depuis des siècles, dont les habitants portaient leur costume différent et accumulaient une richesse en petit commerce comme les seaux et les sandales tirées de vieux pneus. Les arabes allaient leur reprendre et redistribuer périodiquement leur prise, par un " rezzou ", une saisie guerrière. Le même cycle consensuel recommençait quelques décades après. Leur quartier est à l’abandon. Les chleuhs en sont-ils plus heureux ? Les juifs étaient partie prenante dans leurs traditions.

Dans ce monde médiéval chacun, adulte reste chez soi.

Une quarantaine de mineurs est embauchée par Ichou. Ce sont de bons ouvriers très calmes, sachant bien tailler les bois d’eucalyptus pour étayer les galeries.

Leur seule boisson originale est l’ " athé " qu’ils vous offrent gentiment, surtout en période de ramadan. C’est un breuvage très sucré qui contient moitié thé vert, moitié poivre noir, et qu’on adoucit au lait de chèvre. Vous pouvez essayer, ça décape.

La mine a souffert de son abandon. Des galeries sont éboulées. On y circule souvent à quatre pattes comme dans les gourbis. Le minerai est formé d’or réfractaire invisible à l’œil nu. On transforme la roche en farine dans de gros broyeurs à boulets, puis on la trempe dans une solution de cyanure de sodium qui circule dans de grands réservoirs : les agitateurs qui mélangent et les épaississeurs qui concentrent. On précipite ensuite la solution sur des copeaux de zinc où l’ors’amalgame. Ces centaines de mètres cubes de solution cyanurée sont capables de tuer un troupeau de mouton, les ânes où les humains à trente kilomètres de là, si l’on ouvre malencontreusement un robinet. Ralph qui chuta un jour d’hiver dans un chenal de l’usine avait les lèvres bien pincées, ce n’était pas de mépris. Le cyanure de sodium, en petits boulets blancs, coûte très cher et sera perdu s’il rencontre les oxydes, ces minerais proches de la surface. Une mine doit rapporter. Cet équilibre des prix de revient cerné sévèrement ne paraissait pas trop favorable dans cette mine. C’était une usine en faillite.

Ralph établit un plan d’ensemble des gisements en faisant figurer les filons quartzeux blancs ou cariés. Les porte-mires sont étonnants. Ils marchent sur les parois abruptes comme des chamois, sans craindre le vertige et la glissade de leurs sandales rustiques. On a peur pour eux, mais aussi de la responsabilité que cela provoquerait. Les pachas et les cadis ont beaucoup de pouvoirs, et ne se priveraient pas d’inféoder le responsable. Ce comportement ne leur est pas spécial, mais il est certainement aggravé par la mentalité du pays.

Arrive un nouveau venu dans l’organisation ; c’est Jim RUTHERFORD, un canadien anglophone. Après avoir conduit en Alaska des camions de pipe-lines et de tubages de forages (le casing), sur de gros camions, il a reçu en six mois une licence de géologue. Heureux pays dynamique, qui encourage si facilement la promotion.

Jim aime faire la fête. Les sorties à Marrakech et Casablanca sont épiques. Les jeunes marocaines ne sont pas farouches, et se sentent bien avec un grand gaillard qui défend aussi bien la veuve que l’orpheline. La grosse voiture FORD des mineurs, jaune vif aux coussins rouges était bien connue.

Lors d’un rendez-vous important au ministère de l’Industrie, il fallut d’abord extraire Jim du Commissariat où il était enfermé.

" Je beaucoup de buvé " avoue-t’il sans complexe.

Une très grande visite est annoncée.

Le milliardaire Américain, Thayer LINDSLEY, " The Genius Rock " arrive par avion. C’est un petit Monsieur courtois, très âgé. Il est très bien habillé chic, et ses chaussures sont bien cirées et lacées. Sa " nièce " qui l’accompagne est Jackline, une française charmante, artiste, qui joue paraît-il très bien du piano droit. Elle pousse des cris stridents à la première femme voilée rencontrée. Elle croyait qu’un holdup allait lui enlever son " uncle Ti " car c’est par ce nom familier que tous ceux qui l’approchent appellent le "Genius Rock ". Uncle Ti possède des intérêts dans toutes les grandes mines du monde cotées en Bourse : Yellowknife, Falconbridge, et autres. Pour illustrer son savoir, en comparant, dans un avion, deux journaux, l’un américain et l’autre français, il a noté une distorsion momentanée dans les cours de l’Industrie pharmaceutique. Il a raflé tous les titres possibles, et gagné ainsi cent millions de Dollars de plus. Aux Etats-Unis on ne jalouse pas une telle vedette, on veut l’imiter simplement. C’est le rêve américain, pas facile à réaliser. Il motive l’effort de chacun. Ailleurs, on préfère quelquefois un partage mieux équilibré des ressources, somnifère du peuple envieux et jaloux..

Uncle Ti est très compétent dans les Mines diverses puisqu’il en possède en Amérique du Nord et du Sud, au Canada, en Afrique du Sud, avec des noms ronflants pour les spéculateurs lisant les journaux boursiers. En visite ici, modestement, il casse les cailloux avec sa massette de géologue, mieux qu’un cantonnier.

Un incident se produit au cours de la visite. On demande à Ralph l’ingénu d’attendre un peu plus loin, ce qui le vexe, et avec Jim et Jackline, les trois conspirateurs se retirent derrière un rocher et y resteront longtemps. L’explication à Ralph viendra de Jim, le soir au Palace de Marrakech. Le fameux plan est maculé de coups de crayon. Ils cherchaient avec un pendule les filons aurifères par radiesthésie et semblent déçus.

Jim a un don qui fait sa réputation ; il a déjà trouvé comme cela des gisements importants qui ont beaucoup rapporté.

" I have a finger in a faking lemon pie " dit-il.

En américano-canadien, cela veut dire qu’il a un doigt dans une tarte au citron très spéciale. C’est grâce à ce don qu’il conserve son travail de géologue, malgré ses défauts.

Il en est fier, et va faire une démonstration. Vous n’avez jamais vu deux types costauds marchant enlacés dans une chambre de Palace, tenant chacun d’une main une baguette de coudrier qui soudain plonge, et qu’on ne peut pas retenir. Ralph est convaincu qu’un flacon de whisky s’est débouché tout seul à l’étage au-dessous !

Jim le géologue n’a pas réussi son coup ici. Il part ailleurs trouver une meilleure tarte.

La famille de Ralph s’est enrichie d’une troisième fille née à Marrakech, Christine. Cette maman est très occupée. Uncle T voudrait bien connaitre cette famille française, curiosité normale à son grand âge. Cela lui sera refusé ! Les américains, même richissimes ont une liberté d’expression corporelle (quel euphémisme) qui fait peur aux bourgeois de chez nous. Il en sera contrarié et Ralph aussi. Faire une carrière suppose quelques mondanités élémentaires.

Le géologue méhariste, Monsieur POURQUIE, qui a confié cette affaire à Ralph vient par avion léger qui se pose à ERFOUD leur rendre visite. Il est pâle, mais le lendemain matin met son casque et nous entrons moitié rampant dans ces galeries. Nous le ressortirons mort. Crise cardiaque ! Son renvoi en France fut homérique. Le caïd du village voisin refusa son aide Nous n’avions pas de liaison téléphonique. Un petit aéroport de terre battue existait bien. Tant de troupeaux de moutons y étaient passés que c’était devenu un lit de cailloux que Ralph lançait de rage. On le transporta par route. Ralph perdait un ami, et restait seul face à ces mineurs plus aventureux que lui.

La suite sera encore moins drôle. On remplace Jim par un autre américain que Ralph appellera le Yankee. Il arrive des Mines de platine de Colombie d’Uncle Ti et raconte son histoire pour qu’on comprenne bien ce qu’il est. Les américains ont acheté cette colline minéralisée en platine, qui fut exploitée pendant des siècles par les Espagnols. Les mineurs indiens vivaient sous terre. On y trouve des salles pour les marchés et les cimetières. Les indiens ont toujours cherché à voler du minerai. Ils creusaient des boyaux où ils se faufilaient, et pénétraient pour deux semaines en se dopant de coca et de marijuana.

Le Yankee a trouvé la solution. Tout le tour de la colline a été dégagé au bulldozer, comme une immense carrière. On voyait ainsi les trous de rats par lesquels passaient ces indiens et qui se situaient maintenant en hauteur. Damned ! Ces salopards tapaient toujours avec leurs pics. Alors on faisait brûler de vieux pneus pour les enfumer Si cela continuait, on envoyait les gaz et si cela continuait encore, on faisait tout sauter aux explosifs. Un indien probablement mécontent a balafré le Yankee d’un coup de bâton sur la tête, trop léger selon Ralph. Il est trépané, ce qui n’arrange pas son caractère. Ce fut une période de Far-West vécue jusqu’au conflit physique, dont Ralph échappa rapidement. Le retour ne fut pas glorieux. Il prit, avec une famille qui grandissait, le train pour Casablanca la nuit où Agadir fut détruite par un tremblement de terre. C’était le 29 février 1960.

L’aventure semblait une nouvelle fois bien terminée.

Les phosphates marocains

Il s’arrêta cependant, toujours au Maroc dans les très grandes Mines de l’OFFICECHERIFIEN DES PHOSPHATES (OCP) où des amis de famille le firent entrer. On voulut l’affecter au service géologique, mais le géologue en chef refusa. Il eut tort. Leurs études d’isopaches, (l’épaisseur de recouvrement en fonction du terrain naturel) ne coïncidaient pas. Raoul gagna et resta seul à établir ces plans d’exploitation.

Ce plus ce fut sa mauvaise période hiérarchique car c’était la chasse bien gardée des Grandes Ecoles françaises : Mines et Quat’zarts, mais quelle belle époque technique les moyens étant considérables. Il n’a jamais compris qu’une peau d’âne acquise à vingt cinq ans, même avec courage et intelligence permette a des ingénieurs de passer ensuite une brillante carrière longue protégée, auréolée, mais pas toujours compétente.... La formule américaine consistant à préparer des spécialistes allant au fond d’un seul problème court est plus payante, même en prix Nobel.

Il fut quand même nommé Chef du Service des Recherches, ses connaissances géologiques et minières étant reconnues. C’était malgré tout l’homme du tas.

Ses habitudes d’action étaient contrariées. L’ambiance n’était guère studieuse. Ses collègues n’avaient pas bonne conscience d’être restés dans ce pays après les événements très cruels qu’ils avaient vécu lors de l’Indépendance, à la mine des Aït Amar. Leur bonne volonté s’en ressentait. Le personnel formé d’anciens combattants de la deuxième guerre mondiale, devenus " moghaznis " n’était pas plus motivé et combatif. Pour leur excuse, il faut avouer que si vous n’avez pas connu la préparation du thé sur un feu de bois fumant dans l’air limpide face, à l’Atlas couvert de neige, vous ne connaîtrez jamais la sérénité, la sagesse et l’instant de bonheur que ces matins répétés vous apportent.

Ses responsabilités s’étoffaient. Il conduisait une belle usine qu’il fournissait avec des minerais sélectionnés, et des machines impressionnantes. Le minerai était transporté par convoyeurs marchands en toile caoutchoutée que des ouvriers devaient surveiller. Un simple silex pouvait fendre cette toile si couteuse. Quand ces surveillants dormaient, on les réveillait en sursaut à coups de cailloux sur les tôles.

Parmi les machines et énormes dumpers américains, une dragline, au doux prénom de Marion était une des plus grosses au monde. Elle ramassait les morts terrains qui recouvrent les phosphates dans un godet de cent tonnes et les rejetait par rotation à cent quatre vingt mètres de là. On pouvait placer deux voitures cote à cote dans ce godet pour montrer leur capacité.. Détail amusant longtemps après. L’énorme base de rotation de cette machine qu’on appelait " le fromage " fonctionnait par engrenages. Le graissage était bien dans les instructions, et des tonnes de ce produit furent poussées dans les circuits électriques au risque d’incendier une machine unique au monde (l’autre est en Australie). L’instruction du nettoyage indispensable avait été mal comprise du personnel d’entretien.

Pour casser ces morts terrains calcaires qui recouvraient les couches de phosphates on utilisait par dizaines de tonnes chaque semaine un étrange produit blanc en granulés, amené dans des sacs par un camion quelconque : le nitrate d’ammonium. Les boutefeux élémentaires, mais sorciers confirmés, s’amusaient à faire peur aux visiteurs, en le présentant vainement à la flamme de leur briquet. Après une simple préparation l’explosion était formidable, et les bancs rocheux cassés en miettes sur plus de vingt mètres d’épaisseur. Ce n’était, au départ, qu’un engrais de paysans.

Raoul l’ingénu vous dira déjà où on le fabriquait : à Toulouse chez AZF.

Cette mécanisation très moderne était encore exceptionnelle au Maroc. Près de quinze mille ouvriers creusaient en souterrain par des moyens manuels d’abattage à la " piquasse ". Ce sont de bons mineurs, et il fallait donner du travail à tous. Hélas, aux dernières nouvelles ils ont perdu. La hiérarchie ne s’encombre pas de social. Raoul organisait avec les entreprises locales le creusement des puits profonds de soixante mètres qu’il allait rainurer lui-même avec une échelle de spéléologue fixée au pare choc de sa Land Rover. C’était sa façon de se mettre au niveau des puisatiers qui ne disposaient que d’un treuil rudimentaire et circulaient en mettant le bout du pied nu dans des encoches creusées dans la roche gréseuse, donc souvent sableuse. En période de Ramadan, un jeune ouvrier affaibli retomba sur le " baroud " qu’il venait d’allumer. Spectacle affreux, mais pris avec fatalité par ces gens durs et rustiques.

Raoul équipait beaucoup mieux ses géomètres, de nacelles confortables. Au bureau, Il fit adopter des méthodes lithologiques de représentation du minerai qui rénovaient les techniques. Les gammamètres pour identifier par radioactivité les phosphates étaient préciss et leurs valeurs naturelles importantes : jusqu’à quatre cent chocs seconde. Ailleurs, elles auraient affolé la critique.

Il a de bons souvenirs du sens de l’accueil Marocain. Ses ouvriers dépensaient généreusement, dans l’achat d’un mouton, leur salaire de tout un mois. Ils nous accueillaient souvent dans leur "nouala " (chaumière) de campagne. Les boulettes de foie, appelées " boulfef ", et le méchoui, étaient accompagnés d’une nuée de mouches bleues qui ne gênaient personne. Ils offraient aussi des pâtes au beurre rance. Les réceptions étaient plus mondaines chez le patron des puisatiers. Il expliquait calmement avoir perdu ses deux fils, disparus dans la répression qui suivit la révolte de Oued Zem. Ce chef puisatier avait ramené à Raoul un tapis de prière de la Mecque, ce qui est une bonne marque d’estime. C’était un " hadj ".

On s’assied, après avoir ôté ses chaussures, pour rester en chaussettes, sans trous pour une respectabilité non exprimée, dans un grand salon qui ressemble à un long couloir. On vous place des coussins coloriés dans le dos. Vous devez être bien à l’aise confortablement installé. D’autres invités de moindre rang attendent à l’autre bout du couloir. Ils finiront les plats. Un serviteur vous présente alors une bouilloire sur une cuvette où vous laverez dignement vos mains ; certains se laveront les dents d’un index agile. On s’essuie avec l’unique serviette éponge humide qui accompagne ce rite.

Voilà le thé à la menthe préparé dans la théière argentée, le " mokraich ". On le sucre avec un pain de candi, qu’on casse en morceaux avec un cul de verre solide. On goute. Ce n’est jamais réussi. On le remet dans la théière, on sucre encore. On goutte. Vous devrez en boire trois verres suivis pour être poli, en chuintant car c’est brûlant. Le maître de maison reste à la porte, pour surveiller le service des femmes invisibles, et organiser la présentation des plats. Il a cependant délégué un de ses proches pour s’occuper de vous. On mange avec les doigts et il vous jettera les meilleurs morceaux de viande du couscous de votre côté du plat ; vous devez les savourer. Attention aux organes comme les yeux, où autres abats. ! Heureusement qu’à l’autre bout du salon, plus vous en laisserez mieux c’est. Des plats passent, sucrés, salés, chargés de cannelle, d’olives, d’amandes, assaisonnés d’épices odorantes et colorées. C’est bon, on n’en peut plus, quand arrive le méchoui, avec les meilleurs morceaux qu’on vous jette encore.

En fin du repas, le rot est de rigueur, comme chez les américains, pour montrer qu’on est repu. C’est une forme de remerciement pour la bonne cuisine, et l’on s’habitue très vite à cette convivialité : Ab Dhula ! Ces repas rabelaisiens semblent sortis d’une autre époque. La convivialité des agapes d’alors, s’agrémentait sans doute d’une beuverie vineuse qui fait défaut ici. On sort tout de même d’un placard, le vin et les alcools, tout ce qui plaira à l’étranger chaleureusement invité, le " srani ".

Les lendemains sont comme chez nous, autrefois, frugaux. La gueule de bois est-elle à l’origine des belles civilisations occidentales ?

Ces boissons alcoolisées sont quand même tolérées, surtout dans la jeunesse. Dans les bars, les canettes de bière, vides, s’alignent, nombreuses, au pied de chaque table. Il n’y aura ainsi pas de contestation, la chamata, lors du règlement au serveur. Pendant les périodes de jeune, certains entrent dans le bureau de Raoul, bouclent la porte, et se sustentent. tranquillement en ouvrant le réfrigérateur. La tradition, un peu cachée est assez tolérante dans ce pays musulman.

La technique minière devient une habitude sans gros problème majeur. De jeunes ingénieurs Marocains formés à Mohammedia prennent la relève des ingénieurs français qui coûtaient trop cher. On appelle cela la marocanisation et ils vont d’un excès à l’autre. Mal rémunérés, et souvent intelligents, leur vocation les orientera plutôt vers le commerce au détriment de l’Industrie. Le " turn staff " est important.

L’encadrement européen qui faisait une carrière agréable et stable dans cette grande mine va être chassé. Deux mille techniciens français et quatorze mille ouvriers mineurs marocains, vont perdre leur statut privilégié et devront changer de vie. " Mektoub ".

On peut résumer la vie dans les pays d’Islam par un simple adage qui devrait inciter la réflexion : Embrasse la main que tu ne peu pas mordre.

Pour ceux qui ne connaissent pas ces mentalités, le geste de celui qui retire brutalement la main qu’on embrasse, la main sur le cœur lors de toute salutation, est une preuve de politesse. Deux individus qui se regardent dans les yeux, en se frappant réciproquement de la main droite, se défient réciproquement. Ce sont des gestes de rapports humains que ne connaissent pas les " roumis ", ces romains un peu méprisés pour leur méconnaissance des conventions. On ne peut quitter le Maroc sans conter d’autres histoires où la curiosité de Raoul pour les danses est assez étrange.

Essaouira, l’ancienne Mogador, est un port accueillant, où l’on visite une très belle citerne portugaise dont les voûtes ogivales se reflètent magnifiquement dans l’eau. La famille de Raoul y est en vacances. Les sardines à peine grillées mangées sur le port sont délicieuses Entendant, de nuit, des chants et des tam-tams, Raoul s’y rend. C’est un spectacle étrange avec des tambourins. Des hommes dodelinent de la tête jusqu’au tournis. Soudain, l’un d’eux se jette au sol, qu’il frappe de la nuque et des talons, arc-bouté. Ses amis le transportent près d’un feu et le soignent avec on ne sait quoi ? Cette transe lui rappelle les Dzambi-Bougies de son lointain passé Congolais. Il raconte cette histoire le lendemain, et on le traite de fou. Il a regardé innocemment les rites des Aït Idriss, la secte des Assassins.

Cela lui rappelle une autre histoire.

Il franchissait seul l’Atlas par une nuit de brouillard. Soudain dans les phares un corps ajouté de soubresauts au milieu de la route. C’est inquiétant comme un piège, n’est-ce pas, et il ne s’arrête pas. Au prochain restaurant, il explique cette histoire pour qu’on prenne une décision, quand jaillit, venu d’on ne sait où, un curé furieux. Il paraît qu’un homme a été écrasé par un camion, voilà plusieurs heures, et personne ne s’en occupe. La frousse des responsabilités !

Les problèmes de famille s’aggravent. Un fils est né tardivement. La maison est devenue une nursery. Raoul n’accepte pas cette vie d’enfants rois, pouvant jouer librement avec les objets, même appréciés, en toute impunité. C’est le choc entre lui, enfant élevé durement et son épouse, choyée et coconnée, depuis l’enfance, par des nounous et un personnel attaché à vie à la famille. Il n’a pas lu " Comment j’élève mon enfant ".

Il s’éloigne, encadre des manifestations sportives, et trouve sa perle. Elle pratique avec un sacré caractère un sport étrange : le karting et, cerise sur le gâteau, a été élevée dans un village situé sur le flanc du Mont Cameroun. C’est une coloniale, comme lui. Elle a des enfants, comme lui. La partie n’est pas facile à jouer. Elle est mariée a un riche châtelain breton qui fait partie des grands dirigeants de la mine.

Raoul s’enfuit à OUED ZEM, près de ses chantiers. Il organise des fêtes près de l’étang dans un ancien bâtiment militaire. Rien n’y fait, l’amour l’emporte..

Après sept années passées au Maroc, Raoul s’en va aussi, avec sa châtelaine et sa mauvaise conscience.

C’est un saut dans l’inconnu, comme un voyage de marin. Comment le recevra t’on au port, dans son pays, quitté depuis vingt cinq ans ?

 

UNE EXPLOSION BIEN ORDINAIRE

Elle est extraite de " TIRS, THEORIES et TECHNOLOGIES de la revue

" L’INDUSTRIE MINERALE " n° 13 Mars 2002 par Monsieur Hubert X Ingénieur en chef de l’Armement (CR).

 

Les explosifs à base de nitrate d’ammonium se sont largement développés depuis les années 1960, et représentent maintenant plus de 85% du volume des explosifs utilisés en France et dans le monde.

Ils exploitent la propriété que possède le nitrate d’ammonium (mélangé à quelques pour cent de produit combustible pour arriver à une réaction chimique complète) de prendre, sous certaines conditions un régime de détonation quand il reçoit un amorçage suffisant.......

Simples, bon marché, faciles à fabriquer, ces explosifs sont obtenus par pulvérisation de quelques pour cents de fioul sur un nitrate d’ammonium granulé de porosité appropriée. Leur faible sensibilité rend leur manutention et leur mise en œuvre aisées, et il est également possible de les fabriquer directement sur le site d’emploi avec un matériel relativement simple.

 

Il est inutile d’aller plus loin dans la lecture de ce document technique très compétent et élaboré. L’expérience de Raoul porte sur quelques points :

a) le composant de base du nitrate-fuel est le gas-oil qui est disponible à profusion dans les réservoirs et jerrycans des camions chargeant sur le dépôt. C’est le cas dangereux connu du camion où du cargo chargé de nitrate d’ammonium et en feu de ses réservoirs.

b) un seul jerrycan de vingt litres (pourcentage identifié idéal : 6%) suffit pour arroser un tas important de trois cent kilogrammes de cet engrais et créer un effet de confinement par infiltration en profondeur, ce qui permettra une très importante première explosion.

c) une masse critique suffisante est indispensable pour provoquer l’explosion. La vitesse de détonation est fonction du diamètre et du volume chargé. Ce n’est pas du domaine du laboratoire, comme certains l’ont affirmé.

d) l’explosion, dite première de Toulouse est de type classique des mines : le nitrate-fuel amorcé par détonateur (appelé booster où bouster) est utilisé dans les grandes carrières et découvertes minières (OCP par ex.)

e) la détente brutale par explosion, provoque une décomposition gazeuse alors que les éléments constitutifs du nitrate d’ammonium sont l’oxyde d’azote, le dioxygène, l’ammoniac, etc.

f) l’explosion, dite la seconde s’apparente plus à un coup de poussier en l’air, donc immédiatement consécutif, aux conséquences d’effet de choc et de projections toujours lourdement dramatiques.

L’état final des transformateurs électriques fondus est une bonne indication de ce qu’ont subi les coupe-circuits. Effectuer un tir au milieu du réseau surchargé d’une usine défie toutes les règles de sécurité.

g) nous avons vu que le nombre de personnes compétentes dans l’utilisation des nitrate-fuels est très important non seulement en France, mais dans tous les pays. Les boutefeux et leurs assistants en ont la maitrise d’une utilisation très facile ; d’autres, moins bien intentionnés également, comme certains terroristes, même amateurs, connus dans notre environnement.

h) le danger latent d’information du grand public a du peser d’un certain poids dans le secret qui entoura cette catastrophe. La vérité, à laquelle il est insensé de ne pas croire, au nom de la raison d’Etat, éclatera.

RAOUL, l’ingénu, se REFUSE A CONCLURE.

Cet avis est partagé par des notabilités.

La justice et le grand public ne comprennent-ils rien ?

Et vous, ami lecteur ?

La Vieille Europe

Voilà Raoul dans son vieux pays, qu’il a quitté depuis vingt ans et qui ne va pas lui faire de cadeau après cette aventure africaine. On n’aime pas beaucoup les déracinés qui ont exploité la misère de ces pauvres populations lointaines. Soyez moins critiques. Ces aventuriers, de retour, sont expérimentés, courageux et riches de capacité d’action.

Loin, dans les Ardennes, sur la Meuse, près de CHARLEVILLE, un Directeur Général dirige une importante fabrique de boulonnerie, selon la tradition industrielle locale. Il vient d’acheter une licence américaine sur une nouvelle technique des travaux souterrains: le soutènement suspendu des tunnels et des mines. Les gens du tas appellent cela le boulonnage, et les savants : " la nouvelle technique Autrichienne ".

Ce Directeur Général sait que sur les grandes mines françaises de fer et de charbon, il faut être de la famille et parler leur jargon pour s’introduire chez eux. Ce type qui se présente et annonce vingt ans de métier conviendrait-il ? Essayons-le. Il n’est pas cher. C’est ainsi que Raoul revint dans la France profonde, dont les habitudes de vie, sont proches de celles de sa jeunesse. La vallée de la Meuse est encaissée au milieu des forêts et depuis le dix neuvième siècle a une vocation industrielle. Les Ardennais ont commencé à fabriquer des clous dans leurs granges, et ont acquis une grande réputation ; ils résistaient à tout, se repliant sur leurs carrés de choux pendant les périodes de crises. Ce sont des travailleurs acharnés sur leurs presses brûlantes, et les femmes qui travaillent, souvent à la tâche, sur de lourdes machines, sont usées avant l’âge. Leur pays de tradition près de la frontière Belge est dit enclavé. On y vit, on y travaille, on y meurt sans trop savoir ce qui se passe ailleurs. C’est mauvais pour le développement économique. Les Italiens de Brescia qui ont un peu la même industrie semblent plus éveillés et dynamiques. Ils sont proches de la Méditerranée, et ses relations inter-latines par bateaux, qui sillonnent la Grèce, l’Italie et l’Espagne et que les français ne voient pas. Ce lien historique de tous les échanges de la " mare nostrum " les facilite. Leurs affaires marchent mieux. Après une courte période de preuve de compétence, où il accepta n’importe quoi, Raoul fut intronisé Directeur de la technique et l’exportation. Ce n’était pas simplement un titre ronflant, mais l’occasion magnifique de justifier son savoir. Il s’installa à la frontière luxembourgeoise, au cœur des pays miniers lorrains, fer et charbon. On peut y trouver une équipe facilement polyglotte, car on y nait italien de souche, on parle allemand à la première école jusqu’à onze ans, puis on continue les études en français, en apprenant l’anglais comme langue étrangère. La France profonde est incapable d’une telle performance linguistique. De plus, l’aéroport international est tout proche, à Luxembourg Findel..

La partie peut commencer.

Raoul l’Ingénu a maintenant quarante ans. Il a oublié son passé. Sa compétence suffit et il tient son rang, simplement. Personne ne lui a jamais demandé de quelle grande école il sortait. Va-il faire comme ce chercheur d’or, milliardaire ruiné, qui annonçait benoitement son titre aux ingénieurs titrés qui se présentaient : ECMA, Ecole Communale de Maisons-Alfort ? Non.

Il a recruté des secrétaires polyglottes et de jeunes Ingénieurs des Mines, de Douai où d’Alès, pour former son équipe. Certains d’entre eux sont issus de familles de mineurs, et ont eu une jeunesse difficile d’apprentis du fond. Ils avaient été sélectionnés pour assurer l’encadrement minier, mais ont du s’orienter différemment. Les mines ferment.

Introduisons-nous dans le grand monde professionnel. Les études de pressions de terrains et la manière de les traiter sont conduites par des Ingénieurs :

- de l’Ecole des Mines de Nancy pour les charbonnages de France

- de l’Ecole des Mines de Paris pour les mines de fer de Lorraine et d’ailleurs.

Evidemment, les problèmes, posés par les charbonnages, sont plus variés et difficiles à résoudre. Raoul intervient en symposium pour développer ses règles d’application, participe aux amphis et collabore avec les jeunes professeurs et les chercheurs qui sont très dynamiques. C’est le mécène des thésards, qui réalisent leurs importants dossiers de fin d’études. Les sujets communs vont encore s’étoffer avec les relations privilégiées obtenues dans les mines allemandes où il confrontera les uns et les autres.

Anecdotes amusantes : le Directeur de la Grande Ecole des Mines de Bochum avouait innocemment, pour nous montrer qu’il parlait bien français: " Quelle est la différence entre Gorgonzola et Emile Zola ? " où " je vais faire la fête ce soir. Je pars en taxi car je vais rentrer complètement saoul. " Les Allemands pratiquent la dérision totale. Dans leurs grandes fêtes, l’humour débridé confirme l’intelligence où l’ironie de leur aspect physique. Deux guerres perdues avec des millions d’hommes, de villes et de richesses, les laissent désabusés, mais solidaires. Pour reconstruire leur pays ravagé, dans chaque café, une petite armoire renfermait une multitude de tirelires sans nom extérieur. Chaque quinzaine un collecteur de leur Caisse d’Epargne venait les récolter ; Dans leurs restaurants, les chefs cuisiniers cassaient les briquettes de charbon pour sauvegarder leurs mines. C’est bien différent chez nous.

Ces bonnes relations constructives ont duré de nombreuses années et perdurent encore. Nous sommes bien de la même famille professionnelle. Avec Mines Paris les contacts sont plus informels. Ces mines sont de grandes carrières souterraines, avec chambres et piliers où les problèmes de pressions de terrains sont lourds, mais moins variés. La personnalité et la notoriété du Directeur de l’Ecole apporte pourtant un atout précieux sur lequel Raoul s’appuie. Par exemple, ils visitèrent ensemble les mines de phosphates du Maroc, où Raoul se plaignait de sa modeste position hiérarchique. Ce fut un grand moment de satisfaction et de petite vengeance car on le présenta à tous les services comme celui qui avait bouleversé les techniques qu’on utilisait depuis cette époque.

Ils se rendirent en Grèce où Raoul avait les meilleures relations et adorait ce pays. Ne dites jamais, dans un restaurant, que leur huile d’olive est bonne. Vous repartirez avec la bouteille en cadeau. Ailleurs, le patron vient à califourchon sur sa chaise, vous regarder manger les plats que vous avez choisis dans le frigo en arrivant. Ils furent reçus à l’Université d’Athènes en présence de tous les ingénieurs des Mines du pays, et l’ingénu dut exposer ses techniques aux cris de " Epilogue " qui marquent la tradition. Ils visitèrent les Mines d’argent du Laurium qui furent exploitées voilà deux mille ans, avec vingt mille esclaves qui avançaient chacun de six centimètres par jour. La précision d’implantation topographique des puits d’aérage est surprenante en des temps si lointains. C’est grâce à cette richesse de monnaie d’argent, que la flotte grecque vainquit les Perses à Salamine en 480 avant Jésus Christ.. L’histoire peut toujours recommencer. Les Perses sont aujourd’hui les Iraniens, toujours combatifs.

Au sujet de la Grèce, à part un village près du Mont Parnasse où quelques habitants avaient le profil de visage typique de l’antiquité, la souche actuelle de population vient des Balkans et les a remplacés. La civilisation grecque a disparu, d’autres meurent aussi. Prudence ! Raoul qui avait modifié les pièces d’ancrage au rocher, selon les bases de la mécanique des Roches est content. Sur les cartes postales de l’Acropole d’Athènes, figée sur son plateau, la falaise qui surplombe le joyeux quartier de Plaka a été fixée selon sa technique. Il a laissé sa trace, qui restera inconnue, dans l’histoire grecque.

Les Grecs sont maintenant heureux de vivre ; ils sont très simples et d’une gaieté communicative, comme danser le Sirtaki en jouant du bouzouki, après être restés longtemps esclaves des turcs. Toutes leurs mines de bauxites et de ferronickel sont situées près la mer idyllique, sauf une, de ferro-nickrl, située dans les contreforts des Balkans, à Oliva au Nord de Thessalonique. Les loups y sont nombreux, les Karpates sont proches.

Revenons dans la vieille Europe.

Les problèmes posés par les mines de charbon méritent un meilleur développement. Elles sont maintenant arrêtées et les commentaires de l’Ingénu correspondent plus à ceux d’un guide touristique qu’à la rigueur froide de la technique. C’est un clin d’œil à l’activité de l’époque passée. Une grande mine est comme un immense corps humain. .On est dans les entrailles de la terre et tous les organes doivent fonctionner en totale harmonie vingt-quatre heures continues, sans aucune relâche depuis son ouverture. L’effectif normal est de cinq à six mille hommes, qu’on ne peut réduire, réparti en trois postes de huit heures, deux d’extraction et un nocturne d’entretien.

Notons au passage que les mineurs, faisant un métier dur, furent privilégiés dans leur situation par le " statut du mineur ". En 1945, le charbon était primordial pour la relance de la France. C’était un métier de tradition que l’on se transmettait de père en fils et l’on en fit des " fonctionnaires ". Lorsqu’on dut fermer ces mines, cinquante ans plus tard, il n’était pas question d’embaucher’ de jeunes français qui auraient exigé les mêmes privilèges à vie. Les houillères engagèrent de nombreux mineurs marocains pour assurer en nombre la fermeture de ces mines. Ils apprécièrent les conditions de vie en Lorraine et sont toujours là.

En Allemagne, le problème fut identique, mais l’on embaucha des turcs et des sud- coréens contractuels. Raoul se souvient d’une visite dans la Ruhr sous la neige à trois heures du matin où il était entouré de milliers de " chinois " sur le carreau de la mine. Erreur de casting ahurissante. Ces coréens contractuels repartirent, les turcs éveillés restèrent. La descente au fond est un spectacle. On se harnache entièrement avec habits, brodequins, ceinturon, casque et lampe frontale. Vous recevez aussi un numéro de cuivre que vous accrocherez au tableau, près de la fosse. On saura ainsi combien d’hommes sont au fond et celui où ceux qui ne seront pas remontés. Prévision du danger Les chefs, (porions), portent en outre une lampe a grisou (méthane) qu’ils vont essayer d’abord sur un anneau de butane. Si la flamme brûle plus fort que normalement, c’est qu’elle détectera bien le danger sans y contribuer. On se dirige vers le puits. On parle moins, l’ambiance devient lourde. La cage, cet ascenseur rustique, est à trois étages. On se tasse à plus de cent personnes entrainées par une longue habitude. Raoul se vide discrètement les poumons. C’est sa méthode pour supporter le choc. Le décollage est brutal. On " tombe " à six mètres seconde, soit vingt kilomètres à l’heure. Si le puits, où l’arrêt est a quelques centaines de mètres de profondeur, il sera précis. Au-delà d’un kilomètre, l’élasticité du câble donnera un instant de tangage qu’on laissera se calmer. L’ouvrier, qui a la base du chevalement est aux " molettes ", cet énorme treuil, a une grande responsabilité. La vie de tant d’hommes est entre ses mains.

Au fond, on circule à pied, mais si c’est trop loin, vous vous glisserez dans un petit train diesel antidéflagrant qui vous rapproche du but. Une mine, c’est immense ! On descend, on monte, on se faufile, a travers les travers bancs encombrés de ferrailles. Les ouvriers qui forent dans ces grès, les travers-bancs, qui rejoignent les veines de charbon, avalent les poussières de quartz qui attaqueront leurs poumons : c’est la silicose. Le charbon, est moins risqué. On arrive enfin dans la taille. Les piles du soutènement marchand sont de gros vérins hydrauliques verticaux jointifs équipés d’une sorte de ski à chaque extrémité. Ils avancent avec la haveuse, le rabot où le mineur continu qui abat le charbon, largement arrosé pour éviter les poussières en suspension. Pour terminer cette description succincte, derrière ces vérins hydrauliques, le terrain doit casser normalement, et foisonner, donc augmenter de volume pour éviter les effondrements de surface. Si le " toit " ne casse pas régulièrement, la catastrophe sera possible car les pressions vont provoquer une rupture brutale, massive, incontrôlable avec des effets de levier très puissants. Dans un bruit infernal, on frappe sur du métal pour attirer l’attention du voisin à qui on veut parler. Les mineurs vêtus d’un simple caleçon sont méconnaissables. Ils ont des " coquilles " sur les oreilles pour ne pas entendre mais les ingénieurs n’en ont pas. Ils doivent communiquer. Si l’un des mineurs soulève un instant son casque, la couleur de ses cheveux sera le seul repère humain. Le charbon extrait est entrainé par gravité dans une noria à chaine qu’on appelle le blindé, qui le conduit à la trémie du convoyeur marchant en caoutchouc qui le jettera dans les berlines. Le chantier est généreusement ventilé et arrosé ; le coup de grisou redouté est l’explosion du méthane, que l’on sent souffler en mettant la main à l’orifice des forages de dégazage, et montre son risque identifiable par une plus forte flamme dans la lampe du chef mineur. S’ajoute le risque du coup de poussier qui est l’inflammation brutale des poussières combustibles. On est comme dans le canon d’un fusil, et seuls de grands bacs, placés instablement en hauteur limiteraient un peu la déflagration, en créant par basculement un rideau d’eau. On les appelle des " Taffanels " du nom de l’Ingénieur qui réussit à expliquer les causes de la catastrophe de Courrières : coup de poussier instantané, provoquant sur cent kilomètres de galeries la mort de mille cent mineurs. Ils étaient dans le canon d’un fusil !

La remontée au jour est aussi folklorique. On est venu pour étude et l’on n’attendra pas la " cordée " de fin de poste des mineurs. La première combine est de sauter sur le convoyeur qui monte le charbon à dix kilomètres heure. Vous êtes dans le noir, et la trémie de la tête motrice vous attend. Si vous ne sautez pas avec précision, un choc dans la trémie et dix tonnes de charbon vous attendent, avant qu’on puisse tout arrêter. Mieux vaut être souple. La deuxième combine est de trouver une place dans la cage entre deux berlines de charbon. La remontée se fera à 20 mètres seconde, soit plus de soixante kilomètres heure. A l’arrivée, vous flottez comme doit le faire un cosmonaute arrivant sur terre.

Faisant partie des chefs, vous êtes attendu au retour avec un casse-croûte sérieux. Vous restez, selon la tradition, imprégné du charbon qui n’est pas jugé sale, et vous discutez technique. Le Directeur de la mine n’est pas reconnaissable. Pour un renseignement, il appellera le responsable arrivant souvent tout nu de son bain, sans pudeur inutile, et décrira le problème au tableau noir. Le corps humain, surtout chez les francs buveurs de bière, n’a rien d’Adonis, mais cela ne gênait personne. Après le repas, arrosé de schnaps, un bon bain tiède vous attend, et vous nettoierez vos yeux maquillés, doucement, avec le biceps. Stupeur : en Allemagne vos vêtements avec leurs larges rayures verticales bleu-noir et blanc, sont identiques à ceux des camps de concentration! Ces malheureux étaient habillés solidement comme les mineurs, avec les habits sortant du mauvais faiseur. L’ingénu serre les dents à ce souvenir. Raoul baragouinait l’Allemand. Ils n’ont jamais su pourquoi.

La réussite de la technique du boulonnage à la française dans les mines allemandes de la Ruhr est assez curieuse et vaut d’être contée.

Après le désastre de la guerre de 14-18, les régions Lorraines au-delà de la Marne étaient exsangues. Elles ont été réactivées par des immigrés italiens qui ont fait souche, se sont fondus dans leur pays d’accueil en formant l’essentiel du personnel des mines de fer. Les Polonais, autres immigrés, furent plutôt affectés aux mines de charbon du Nord. L’un des descendants italiens de la deuxième génération se prénomme Arthur et c’est un collaborateur italien de Raoul. A la deuxième guerre mondiale, il a fait un choix difficile : apprendre son métier de chef-mineur (chef-porion) à l’Ecole allemande dans le bassin des Mines de fer de Lorraine. La carrière d’Arthur fut longtemps contrariée par les reproches amers de ses collègues pour sa collaboration avec l’ennemi héréditaire. Retraité, il se retrouva avec joie chargé par Raoul des affaires allemandes. Il faut dire que les allemands exploitaient ces mines de fer à tout va, sans se soucier des villages qui les surplombaient, et ils ont emporté les plans en partant. Les effondrements ne sont pas rares et défraient souvent la chronique actuelle. Son vieux Professeur de l’époque de guerre en Lorraine, le Herr Doktor Leyndeker, était depuis devenu Directeur de la grande Ecole des Mines de Bochum dans la Ruhr. Comme on peut le penser, le Maître et l’élève se retrouvèrent avec plaisir et estime. Aussi, ce vieux Monsieur prit sa canne et introduisit ses amis français dans toutes les grandes mines de la Ruhr et de la Sarre, dirigées par ses anciens élèves. Le roi Arthur avait tardivement gagné la partie, et les portes, même celles des brasseries bavaroises, s’ouvraient autoritairement en dégageant leurs clients habituels des meilleures places, pour ces français respectés.. Le Herr Professor Wedigué, Directeur actuel de l’Ecole put ainsi lier avec l’Ecole des Mines de Nancy des relations techniques fructueuses.

Assez parlé du charbon, mais pas de l’Allemagne..

Près du Grand Pont sur le Rhin, le RheineBruke, se situe une mine très moderne qui exploite le sel gemme. .Les " chambres " exploitées, pourraient contenir Notre Dame de Paris, sans problème, et au-dessous du sel on a reconnu des bancs de charbon. L’avenir est assuré à l’industrie chimique, pour ce puits de Solvay Werke, alors que ses concurrents français peinent dans des marais salants, d’évaporation difficile, pour les utilisations alimentaires.

Nous n’allons pas quitter la Ruhr, sans parler de Salzgitter, et de son Directeur Herr Wingassen. C’est une mine de fer gérée dans la tradition wagnérienne. Notre ami frappe de grands coups de poing sur la table, ce qui nous fait rire car cela rappelle d’autres discours d’un Führer, à une autre époque beaucoup moins drôle. Le matériel est gardé par un ancien boxeur patibulaire et ses deux chiens-loups féroces. Personne n’approche. A l’arrivée au fond du puits, une vraie chapelle consacrée à Santa Barbara, la sainte des mineurs. Sur le côté, les sacs à dos et le matériel de secours sont alignés comme à la parade. Goot organizir ! Si cette mine modeste fournit la célèbre coutellerie de Solingen voisine, la curiosité est ailleurs. Le Rideau de Fer est à deux pas, et Wingassen s’en fait le guide furibond à chaque visite. C’est très impressionnant. La largeur du " mur " est d’au moins deux cents mètres, entre les lignes de barbelés. Les miradors se suivent avec des kapos figés sur leurs armes, comme au musée Grévin. Au loin une patrouille passe avec ses chiens. Les projecteurs sont partout, et une biche emprisonnée dans ce no man’s land ne ferait pas deux bonds avant d’exploser. A dix heures du matin, les gens du pays qui n’ont pas vu leur famille d’en face depuis vingt cinq ans se groupent devant un haut-parleur pour leur parler. Dans cette langue étrangère, rauque, c’est encore plus poignant. Wingassen montre avec fierté la comparaison des fumées entre ses cheminées d’usine et celles d’en face, en Allemagne de l’Est. C’est flagrant. Manifestement, en face, ils se moquent de la pollution. On n’est pas dans la même époque. Raoul lit avec étonnement la date de démantèlement de cette barrière de haine : 1989. C’était hier, et on l’a déjà oublié.

Les Allemands de l’Ouest riches, avec leur grosse industrie de la Ruhr et de la Sarre et des réseaux d’autoroutes si denses que l’on s’y perd, vont payer de leur réussite la réunification avec leurs anciens kamarades de l’Est. Les peuples sont malléables et n’aiment pas trop l’effort au travail, s’ils peuvent l’éviter. C’était le cas dans l’Est, sous le Communisme. La liberté symbolique, on s’en fiche, pourvu qu’on ne s’use pas au travail, physique où intellectuel. C’est difficile de remonter cette pente acquise.

Parler d’autoroutes, c’est revenir à leur origine. Pendant la deuxième guerre mondiale leur développement rapide permettait de contrôler les frontières, et d’attaquer rapidement les voisins. Hitler avait réalisé une liaison rapide vers l’Autriche, son pays d’origine, mais pas encore terminée. Herr Gruber est autrichien, et invite Raoul à visiter un tunnel d’autoroute, en cours de construction, près de Linz. Les savants français parlent toujours de " nouvelle méthode autrichienne " belle occasion de la découvrir chez eux. Le chantier du tunnel était bien conduit en deux parties. Un " demi-stot supérieur " permettait d’accéder facilement en clé de voûte, qui était consolidée par boulonnage, avant d’extraire tranquillement le " demi-stot inférieur ". Jargon de métier ! C’est simplement extraire la demi-lune qui forme la voute, et la consolider, avant d’attaquer le rectangle qui est dessous. Le chantier est abandonné. Critique : Avancement lent, permettant au terrain de se détendre ; il reste même encore une brouette d’époque. Compliments. On a connu cela en France à l’époque, dans les ardoisières d’Angers qui utilisaient des broches de châtaignier pour fixer les bancs schisteux. Les Français sont aussi forts que les Autrichiens, ils n’ont rien à nous apprendre. L’explication est venue longtemps après. Mon Dieu, cette technique qui a bouleversé l’exploitation des mines et des tunnels, et fera longtemps réaliser des économies considérables, c’était donc ça : Le travail à la schlague des déportés de Mauthausen où la vie humaine comptait si peu, qu’on pouvait expérimenter n’importe quoi ! C’était là ! Raoul l’ingénu est choqué de n’avoir pu se recueillir dans ce lieu de souffrance. Quand on lui parle de " nouvelle méthode autrichienne " il a toujours un sourire sarcastique désagréable.

Faisons maintenant un bref voyage en Angleterre, à Boulby mine dans les potasses au Nord du Yorkshire. Le règlement est rigoureux ; on est fouillé au corps avant de descendre. Briquet interdit. La potasse forme une sorte de croûte au-dessus du sel gemme. La pression du terrain et le fluage du sel vont enserrer des poches de méthane fortement compressées qui vont exploser. C’est dangereux quand elles sont proches d’une paroi de galerie. Les parois sont constellées par ces bombes ; cette observation est valable pour toutes les mines de potasse rencontrées, même en Alsace.

L’Angleterre a d’autres charmes, que l’Ingénu adore. Près de Middelsborough, il loge au Château Hôtel de Guisborough. Style Victorien, grand parc avec des rhododendrons et des lapins dansant autour des blanches statues. Tout est d’époque, dans la chambre du seigneur : lits à baldaquin et robinetterie grinçante. Au rez de chaussée, Public bar et Private bar sont écrits dans des salles séparées face à un bar unique. On se regarde d’un côté à l’autre sans expression et en silence. A 10 heures P.M. la clochette sonne. Vite on se fait servir un dernier whisky digestif avec un grand verre d’eau fraîche. On paye avant service. La grille descend, grinçante aussi. Dire que les " froggies " ont fait des révolutions pour ne plus voir ce calme et cette dignité. Shocking !

Montons plus au Nord. On y manque de soleil. Plus on monte plus on s’enferme dans un chez soi chaleureux. De petits rideaux laissent passer un maximum de faible lumière et un rare rayon de soleil. Les carreaux blancs des mines, murs et sols sont lavés souvent, a grande eau, au jet. Le soleil, et même la lumière sont rares. Imaginez-vous que des grandes mines de charbon sont exploitées au delà du cercle polaire, au Spitsberg par des Norvégiens avec des mineurs allemands où des mines Russes invisibles. Les allemands ne résistaient pas à cette vie, plus de deux ans. Sortant d’une mine obscure, ils retrouvaient en sortant, une nuit pendant six mois et un pâle jour continu pendant les six autres mois. Intenable à long terme. L’individu dont la motoneige tombait en panne était vite recherché car sa vie est menacée. Les étés sont relativement chauds, de Juin à Septembre, et le dernier bateau de pommes de terre devra arriver au port de Longyearbyen en mi- Septembre. Que de cris d’inquiétude, en cas de retard de livraison ! Ensuite, la mer, souvent gelée, sera incertaine. Si au Nord du cercle polaire (80° Nord) on trouve des couches de charbon, c’est qu’en d’autres temps géologiques s’y trouvaient des forets.

Le Groenland (la lande Verte), commence à un demi-millier de kilomètres à l’Ouest. Cette grande île est entourée d’une auréole de transition, le pack glaciaire. Il débouche sur la banquise, large souvent de sept cent cinquante kilomètres. A l’intérieur du pack, on rencontre l’Inlandsis. C’est un plateau de deux mille sept cent kilomètres de long et mille sept cent kilomètres de large. Son altitude atteint plus de trois mille mètres et l’épaisseur de glace trois mille cent mètres. Ce n’est donc qu’un plateau de glace fossile, soumis à des courants, comme le Gulf Stream et au fluage des glaciers. !

Les risques de la navigation sont grands, les vents violents provoquant des changements de temps très rapides et des déplacements où fonte des icebergs dans un vacarme infernal. Comme à Verdun, dit-on. . Les marins, pêcheurs et chasseurs préfèrent l’Eté où la banquise est morcelée. Ils n’en mènent pas large et sont toujours prêts à fuir. Les explorateurs préfèrent l’hiver pour circuler, les neiges fraiches nivelant les irrégularités de surface de la glace. Les glaciers qui descendent par fluage, comme un fleuve, s’effondrent normalement en arrivant en mer. Les cinéastes incorrects accusent le réchauffement climatique, sous le regard complaisant des climatologues ! C’est de la désinformation tendancieuse, pas scientifique.

Le Monde qui bouge

Après ce petit tour de l’Europe, vous vous languissez sans doute d’histoires africaines. Plus de trente années ont passé depuis les premières aventures. Nous classerons les nouvelles dans le sens Nord-Sud et ne croyez pas à une critique exacerbée.

Raoul se rend en Algérie qu’il ne connaît pas sur un barrage en construction dans le djebel. Dans son Hôtel à Alger, l’ascenseur s’arrête à mi-hauteur d’étage. C’est difficile de tomber juste. Dans la chambre, la moquette, bien lavée, se gondole. Il a peut-être mal choisi ? Il était pourtant conseillé. On l’emmène dans le seul bon restaurant qui survit à Fort de l’Eau, puis on prend la route côtière. En traversant la Mitidja qui fut paraît-il le jardin de la France, les orangeraies rescapées ne sont plus entretenues. Dans les villages, les fenêtres des pavillons, peintes en bleu, indiquent les propriétés du patrimoine des français. Au milieu de la place, un kiosque à musique. C’était bien la façon de vivre modeste de gens qui se croyaient chez eux, souvent depuis longtemps. Le style d’architecture est pareil à Champigny sur Marne, en banlieue parisienne.

On arrive a un premier barrage hydraulique. Il est complètement ensablé par les alluvions de l’Oued, donc irrécupérable faute d’entretien. On ne peut plus le vider. C’est pour cette raison qu’on doit en construire un nouveau, plus important et plus adapté.

Une trentaine de Français construit les galeries. Ils sont surveillés avec soupçon parce qu’ils veulent installer la radio pour communiquer d’un chantier à l’autre. Les contrôleurs algériens se méfient de l’espionnage, lequel ? Le ciment est rare car l’usine qui le fabrique a rempli en six mois le quota imposé pour l’année. Nous sommes dans un pays socialiste. On attendra ! L’un des français s’est acheté un cheval. Il lui faut un bon pour du foin. ; Comme il avait été accordé le jeudi et qu’il attendu jusqu’au lundi pour prendre livraison, le bon n’est plus valable. Il faut recommencer la procédure administrative. Raoul se promène dans le village à la nuit tombée. Une étrange mélopée islamique chantée par des gens nombreux l’intrigue. Quelle passion religieuse ! Il n’a jamais entendu cela au Maroc, pays placide où chacun prie d’abord pour soi, à part le muezzin bruyant..

Cette ambiance de méfiance ne l’enchante pas ; allons voir ailleurs.

L’avion se pose à Agadez, au Niger, en plein désert. Une visite des mines d’uranium d’ARLIT, plus au Nord, près de la frontière algérienne est organisée. La cité minière est étrange. C’est un greffon artificiel complètement aseptisé, sans aucun équilibre naturel. Que de précautions pour ne pas mettre en péril cette vie fragile. Mettez en liberté deux serins, vous en aurez des milliers en peu de temps car il n’y a aucun microbe, ni aucun prédateur. Les gens du voyage saharien qui s’agglutinent autour de la mine vivent dans des villages carton, faits comme leur nom l’indique avec de vieux cartons d’emballage. C’est aussi la seule nourriture des ânes et des chameaux. Le spectacle des hommes bleus passant à l’amble de leurs vaisseaux du désert, au-dessus de la ouate d’un vent de sable, laisse un très beau cliché dans la mémoire. Les hommes bleus ne sont pas seuls à naviguer dans le désert. Des camionneurs aventuriers circulent aussi, boussole en main, hors des pistes connues. La frontière n’est pas loin et permet des trafics. La mine n’est pas très profonde, environ deux cents mètres. C’est au fond qu’on apprécie la richesse en eau fossile qui paraît sortir d’un robinet tiède. Cet excès d’eau et de soleil sert au jardinage des résidents. Les radis poussent en trois jours en plein désert. Etrange vie,celle des expatriés. Les touareg rodent autour. Ils veulent leur part du gâteau de leur désert. Ils ne sont plus encadrés et sans ressources.

Voici Kano, au Nigeria.

On avait pourtant dit à Raoul au départ que le vaccin contre la fièvre jaune n’est pas nécessaire. Le préposé du service sanitaire demande qu’on le suive dans son bureau. Il a en mains ce passeport sanitaire estimé incomplet. Ne vous entêtez pas. Donnez-lui un bon billet. Vous passez en ville. Toutes les lumières sont jaunes à cause des myriades d’insectes. Les buses qui attendent l’eau pluviale sous les remblais sont habitées par des misérables. Devant l’hôtel, les péripatéticiennes nombreuses sont les mieux habillées de vêtements voyants. Raoul se rend sur un barrage construit par les italiens. Les japonais avec Toyota ont l’ensemble du marché des camionnettes pickups qui sillonnent le pays. Phase retour avec un américain et deux italiens, Nous sommes quatre à repartir avec des billets réguliers. Nous attendons sagement à l’enregistrement dans une file d’attente, qui soudain file comme une volée de moineaux. Nous restons seuls, intrigués avec nos valises. Les passagers sans réservation ont envahi l’avion. Il ne reste plus qu’une place, c’est pour Raoul ; les autres attendront le prochain vol. L’avion est a quatre cents mètres, passerelle en attente. Raoul passe sous le portique. Malheur, il sonne. Vidons vite nos poches, posons la montre. Cela sonne encore ! Reste la boucle de ceinture de son pantalon. Doit-il le quitter ? Et l’avion qui lance son point fixe. Le douanier a bien travaillé, et Raoul, non cardiaque confirmé a pris son vol après ce diagramme d’effort.

Merci, Nigeria, grand pays grouillant de vie, le plus peuplé d’Afrique.

On a toujours du plaisir à retrouver un pays qui vous a marqué. La grande mine de manganèse de Franceville au Gabon est à deux heures. L’avion, un Fokker avec soixante passagers est récent. Le pilote est certainement un ancien de l’aéronavale car il s’amuse à faire des virages secs au-dessus des vallées forestières cernées de montagnes. Vous avez tout faux. Il n’y a plus aucune balise au sol fonctionnant encore et il cherche la bonne vallée pour se poser à Koulamoutou. Opération réussie. Au bord de l’avion, mais pas à bord, le petit marché de bâtons de manioc, de viande fumée, de poisson séché, de poulets piaffeurs et de vin de palme s’est installé. C’est plus sympathique qu’un plateau-repas. La prochaine escale est Lastourville. Le temps est bouché. Le pilote informe les passagers par micro qu’il ne peut atterrir. Vingt passagers se précipitent dans le poste de pilotage pour protester. Ils ont l’expérience de l’autobus et ne font pas la différence.

Raoul retrouve ses anciens collègues avec plaisir. Claude est toujours là, en fin d’une carrière studieuse. Beaucoup de nouvelles. Le Président du Congo et celui du Gabon se sont disputés. L’un d’eux voulait même bombarder l’autre avec les avions taxis de Jean-Claude. Que la richesse du Gabon parte vers le Congo-Brazzaville, c’est inacceptable ! On construit un autre chemin de fer, chez nous qui joindra Libreville à Moanda : le Transgabonais. Le premier on n’en veut plus. C’est fini. Les amis de l’ingénu sont morts pour un caprice de chefs politiques. La deuxième nouvelle, pour d’autres, c’est que le fond des puits de reconnaissance du manganèse que Raoul étudiait était très radioactif. Partant de là, les prospecteurs géologues du Commissariat à l’Energie Atomique ont trouvé l’important gisement de Mounana. Sur cette mine, on ne voit plus l’amorce d’une pile atomique naturelle, la seule connue au monde, parce qu’on a mis des planches devant pour empêcher les visiteurs de voler les plus beaux échantillons.

Parlons donc radioactivité d’une façon générale ; celle qui est naturelle n’a jamais choqué Raoul, et les cris-radieux que poussent certains, devraient rarement être pris très au sérieux. Après avoir été bombardé dans le manganèse, très vieux de l’Algonkien (plus de 300 millions d’années), il fut aussi bombardé dans les phosphates, au Crétacé (soixante millions d’années au Maestrichtien), qui sont des résidus d’animaux marins. La radioactivité existe partout, depuis toujours. Elle affole le compteur de Geiger quand elle est très importante. Raoul se servait du compteur, le gammamètre pour délimiter les zones minéralisées. L’étalonnage de l’appareil se faisait avec une pastille peu naturelle qui trainait dans sa poche. Il faudrait maintenant un cercueil de plomb pour répondre à la liturgie. Il connaît toutes les mines d’uranium de France ; amis du Forez, de la Crouzille, de Vendée, de Lodève, vous étiez frais et roses, car le gaz radon exigeait une bonne ventilation. Le radon est délétère, mais est lié aux terrains primaires, dans les boulders granitiques du Massif Central, de Bretagne où des Vosges. Il est masqué et dangereux parce qu’on l’ignore. C’est pourtant grave pour les habitants. Un souvenir de Lodève l’amuse. A l’ouverture de la mine, manifestation des opposants : on va détruire le vignoble pour exploiter ce sale minerai. A la fermeture de la mine, manifestation des opposants : si on arrête la mine, le pays qui en a bien profité sera ruiné. Etaient-ce les mêmes citoyens derrière les banderoles ?

Revenons aux aventures d’Afrique puis d’ailleurs.

L’avion se pose à N’Djili. C’est l’aéroport de Kinshasa, au Congo de Mobutu, ville qui s’appela un temps Léopoldville. Le voyage s’est bien passé ; les hôtesses en tenue léopard sont sympathiques et mal payées. Elles mangent leur manioc à Orly. Le contact répété entre deux mondes justifie leurs complaintes. Elles font des comparaisons. Raoul reprendra un vol sur Lubumbashi pour visiter les mines de cuivre du Katanga. Quand repart l’avion ? On n’en sait rien. Attente de un à quatre jours. On passe le temps à admirer le tarmac avec sa collection d’avions pourris. C’est un musée d’époque. Comment peuvent-ils voler avec des avions à hélices pareils ? Un bon point pour eux ; Ils ont des pilotes fatalistes pour conduire ces bus qui volent encore. La salle de transit se bourre de passagers enfermés eux aussi. Pas de cafétéria. Les toilettes sans eau sont dans un état repoussant. Pour se distraire, Raoul offre des bières au personnel. La " Simba " est le champagne du Congolais. C’est un vrai touriste parlant seulement le français, qui discute avec le personnel, mais il n’a pas entendu un seul mot désagréable en Lingala. Ils sont gentils. L’un des invités a une feuille verte fermée ; c’est quoi ? L’homme l’ouvre certain de son effet. Mon Dieu quelle horreur, ce sont des chenilles grouillantes. Le touriste n’a jamais vu cela ! Essayons fermement de quitter ce transit. Tout est possible, et la jolie secrétaire du desk se propose même à l’accompagner. Raoul est heureux ; il va revoir Léopoldville de son lointain passé. Cette ville de style Sud-Africain avec ses grands immeubles, c’était la civilisation avancée par rapport à Brazzaville très coloniale avec ses toits de tôle noyés dans la verdure. Les Belges s’étaient installés là, définitivement, comme à Bruxelles. Ils savaient s’y prendre. Les chefs noirs avaient des médailles, comme les champions olympiques, frappées en Wallon d’un côté et en Flamand de l’autre. Raoul n’a jamais vu de médaille d’or car il ne fréquentait pas l’élite. Les dames conduites par leur chauffeur dans leurs grosses voitures américaines allaient se distraire au zoo. L’aura des grands sorciers, ça ne s’entretient pas comme cela.

Bon, passons la douane, pendant que les signaux amicaux des chauffeurs de taxi commencent à se disputer ce client médaillé d’or. Le douanier prend le passeport qui disparaît. Attention ! - Tu n’as rien à déclarer ? Dit-il ! NON.

- Je peux ouvrir la valise ! (c’est une menace tranquille expérimentée).

- Tu peux ouvrir si tu veux, mais rend moi mon passeport; tu veux quoi?

- Donnes-moi l’argent pour que je puisse boire la Simba avec mes amis.

Marché conclu; ce n’est pas grave. La valise n’a pas été ouverte. De l’aéroport à Kinshasa, quarante kilomètres mal réputés. Raoul parle à nouveau Lingala ; cela vaut mieux pour éviter les combines de coin du bois. Il est attendu à l’Hôtel Regina, seul nom dont il se souvienne, vingt cinq ans avant. La belle ville est délabrée. Toutes les bordures de trottoirs ont disparu. Devant chaque devanture, un lit où une chaise longue, pour le vigile qui protège le magasin pauvrement achalandé du libanais, du grec, où du portugais qui résistent. Un joli petit marché nocturne avec des tableaux naïfs de peintres et des défenses d’éléphants sculptées, vaut une courte promenade. Deux types le suivent de trop près. Il rentre vite et se boucle dans sa chambre.

On frappe à la porte :

" Missié, c’est pou l’amou ! "

S’il le voulait, Hercule serait battu en douze travaux, car les estafettes se suivent toute la nuit. La fille du desk le prévient on ne sait comment qu’un vol pour Lubumbashi est programmé incessamment. Il fonce. L’avion est en bout de piste. Deux bus vont permettre de le rejoindre. Les passagers sont agglutinés devant, avec leurs paquets et bagages importants. On ne sait pas comment faire pour charger les bus. Le responsable du chargement a une idée géniale : les hommes dans le premier bus, les femmes dans le second. Raoul qui est certain d’embarquer cette fois admire le capharnaüm qui suit.

A Lubumbashi, la capitale du Katanga, il retrouve Marcel son ami belge qui l’emmène à Likasi où ils résident. Le bac qui permet de franchir la rivière Loufira est gardé par des militaires en guenilles kaki. Surtout ne pas les contrarier ! Vous ne pouvez imaginer quelle tempête, sous un crâne rustique, est créée, d’une part, par la puissance de la Kalachnikov, et d’autre part l’amitié que l’on accorde au blanc nanti qui passe sur le bac. Il va me donner un matabiche (cadeau). Encore un coup de vin de palme pour essayer de résoudre ce problème kafkaïen. Heureusement, Marcel parle le Swahili. C’est mon frère, je vais gagner l’argent.

A Likasi chez ses amis, on le prévient. Voilà quinze jours, on a tiré dans la fenêtre de sa chambre. On a pourtant deux sentinelles, mais c’est peut-être eux ? Couchera-t’il dans le lit ou sous le lit ? C’est un ancien combattant. Confort d’abord ! Pour continuer la mise en condition, Marcel lui montre les résultats de l’énorme explosion d’un dépôt d’explosifs qui a ravagé la ville de Likasi. Le ciel étant souvent bas, l’onde de choc a pris appui sur les nuages pour retomber au sol. L’église est miraculeusement intacte entre deux zones complètement hachées. Les chrétiens sont comblés par l’intervention divine !

On organise une réception pour présenter Raoul à tous les Directeurs belges des grandes mines. La discussion professionnelle sur les salaires, sans interêt, s’éternise. L’un des directeurs excédé lui dit :

" Tu viens une fois au village avec moi ? " Malpoli, il accepte. Ce fut sa plus belle soirée africaine, comme au bon vieux temps. Quelle ambiance bon enfant, et quel succès leur vaut la générosité en " Simba " la bière du pays. Raoul qui ne sait pas danser a trouvé le tempo. Au départ, le verrouillage automatique des portières d’une voiture moderne les a sauvés d’un grand danger. Ces jeunes filles étaient accrochées a toutes les poignées, et au pare-chocs, et ne voulaient pas lâcher. Quel magnifique sujet de pub pour un constructeur malin, n’est-ce pas? Vous allez croire que Raoul a sombré dans le stupre ? Non ! La richesse de ces mines placées sur la " Copper Belt ", la Ceinture du Cuivre, concerne non seulement le Katanga, mais la Zambie et le Nord du Zimbabwe. On comprend facilement l’enjeu fou donné par ce jackpot aux politiciens et aux spéculateurs exploitants du moment. Les trois grandes mines sont très différentes :

Kipushi est la Caverne d’Ali Baba qu’un enchanteur n’aurait pas osé inventer. On exploite manuellement, par soutènement bouclier d’acier tressé pour ne pas en perdre un gramme. Ces éclats métalliques argent, bleus, or, rouges, verts, c’est à mettre directement dans un coffre-fort. Le puits est très moderne ; il a été creusé par les sud-africains qui sont les meilleurs mineurs au monde. Ils sont formés dans de véritables saunas, en température et humidité lourdes, qu’ils rencontreront plus tard. Ils s’entraînent à soulever des super-charges sportives, et sont alimentés de six mille calories par jour. Au Transvaal, ils peuvent ainsi creuser des puits en deux parties successives descendant jusqu’à trois mille mètres de profondeur. Le risque n’a pas grande importance ; cette main-d’œuvre est renouvelable à volonté.

Kamoto est la grande mine proche du Centre de Kolwezi. L’exploitation datant du début du 20e siècle. Les installations des usines ont été longuement améliorées, et les usines et résidences sont somptuaires avec d’immenses piscines. Les nouveaux maitres africains en ont pris possession. Raoul rencontre le Grand Directeur chez lui. Mobilier magnifique, d’origine ancienne. Il loge à l’Hôtel Impala de Kolwesi. C’est le nom d’une antilope qui ressemble à une vache miniature noire, et que l’on estimait maléfique voilà bien longtemps. Aujourd’hui dans cet hôtel bien propre, l’histoire récente ressort un peu. Combien d’esprits défunts se sont évadés de cette chambre aux corps empilés ? Sans être superstitieux et imaginatif, on est mal à l’aise.

Kambove est une mine en fin d’exploitation, qui devient dangereuse par excès d’exploitation mal contrôlé. C’est un grand cirque souterrain. Raoul enverra son ami Jos De TOFFOLI, homme du tas descendant d’Italiens. Il était, monté, par caractère, dans la hiérarchie des Mines de fer, et devait maintenir l’exploitation de cette mine un an de plus. Mission réussie ! Jos a retrouvé là-bas beaucoup de ses collègues lorrains, partis à l’aventure lors de la fermeture des mines de l’Est. Le monde des Mines forme une grande famille où il était chef !

Pour repartir par Air Congo, aucun problème. Monsieur Marcel est bien connu. Il a un gros billet dans la poche, et on l’accueille avec chaleur. Raoul, l’ingénu est heureux de découvrir qu’il vaut si cher, et que quelques diamants bruts auraient encore mieux justifié sa valeur. C’est raté ! Les seuls diamants qu’il aime sont les borts sertis dans les couronnes diamantées. Ne vous trompez pas ; c’est la pièce d’attaque des roches dures utilisée par les foreurs, métier noble s’il en est.

Chaque année, Raoul passera deux semaines au Katanga. Il sera toujours bien accueilli. Les nouveaux dirigeants l’invitent chez eux gentiment. Leurs tous petits enfants se cachent derrière les canapés et font des signes d’amitié de leurs petites mains aux paumes roses, auquel Raoul répond. Il se pose une question drôle :: pourquoi au milieu de ces gens faméliques, un dirigeant est-il toujours massif avec une grosse tête et une grosse nuque ? Une nouvelle espèce se développe rapidement : la dynastie des biens nourris. Leur avenir reste difficile, car la guerre tribale où la Démocratie les emporterait comme fétu de paille dans l’anarchie ambiante. Le Président Mobutu avait une méthode infaillible pour se maintenir. Ce n’était pas son couvre-chef de sorcier en peau de léopard, mais les valises de billets locaux distribuées généreusement à ses visiteurs!

Nous allons quitter l’Afrique si complexe pour des cieux plus cléments.

L’Orient fascine Raoul. Les Bédouins sont des gens raffinés puisqu’ils ont les raffineries. Depuis leurs grosses voitures, tous terrains téléphone à l’oreille, ils dirigent le monde avec courtoisie. Ils peuvent aussi par snobisme s’offrir la Ferrari qui repartira par avion en occasion un an après, car les routes sont encore bosselées. Quand vous marchez, ils s’arrêtent courtoisement pour vous laisser passer. Leur parade nuptiale est curieuse. La première nuit de noces se passe dans une chambre louée, dont les murs et le plafond sont couverts de miroirs. Les Emirats servent de défouloir aux Saoudiens à religiosité austère. Des Etablissements de remise en forme rapide les prépareront à retourner dans leur pays. Leurs enfants, et surtout les filles, font des études supérieures en Angleterre. Les jeunes femmes des Philippines pourtant lointaines, attirées par la richesse, gèrent le commerce florissant. Ces pays évoluent vite.

L’Iran est bien oriental. Il est Persan et non Arabe.

Le bazar ruisselant d’or attire la convoitise des chalands et l’espoir de ceux qui ne peuvent se l’offrir. Comme partout, dans ces régions, Raoul se rend au barrage du Karoun, loin au centre du pays où une falaise karstique s’est effondrée. Escale à Khorramchahr, étonnante concentration des raffineries d’Abadan qui font face de l’autre côté du Chatt al Arab à Bassora, côté Irakien. C’est la clé d’or dangereuse du pétrole. Les femmes, surtout celles du Yémen sont grillagées de noir ; on aperçoit dans un éclair un fragment de robe de couleur vive qui provient dit-on des plus grands couturiers européens. La route du Karoun relie des villages misérables, contraste saisissant avec le bazar de Téhéran. Des torchères brûlent partout.

Hong Kong est un des points chauds qui relie deux pôles du monde et génère ainsi une richesse inouïe. Les Français creusent un tunnel qui reliera Victoria à Aberdeen sous le Pic. Les Chinois n’aiment pas que l’on passe sous les tombeaux de leurs ancêtres. Raconter la découverte de l’Extrême-Orient, vieille civilisation d’une richesse incomparable, mais cruelle, demanderait un long développement laissé a de meilleurs connaisseurs. Depuis le plus haut étage tournant d’un gratte ciel, voir la baie de Kowloon avec sa folle circulation navale, en écoutant les valses viennoises d’un orchestre féminin coréen, est un moment magique. Visiter un des marchés où se vendent les serpents rendus indolents par l’ablation du fiel, aphrodisiaque réputé, pendant que se négocie le quart d’un œuf de cane qui vous regarde de son œil noir, c’est surprenant. On importe de Chine, parait-il cent mille serpents par an.
A toute heure de la nuit des milliers de joueurs font cliqueter leurs tuiles de mah-jong. Circuler à Aberdeen au milieu des tas de crevettes et des nasses à crabes, qui émanent des milliers de sampans accolés autour des restaurants flottants aux démons grimaçants, c’est touristique, mais douteux. Buvez une bière dans une gargote quelconque et faites cuire sans supplément le crabe vivant que vous venez d’acheter pour un sous-dollar.

Quelle heureuse coïncidence ! Herr Fischer le correspondant est appelé avec Raoul à Manille. Il adore les Pilippinas, pardon, les Philippines et il a bien raison.

Pour l’ingénu se joue là une opérette in vivo. C’est un pays tropical resté fortement marqué par l’influence espagnole, pourtant ancienne. Même les noms des Philippins sont à consonance espagnole, et des couples asiatiques à chapeau conique dansent le Paso Doble. Des statues d’église en bois polychromes font le bonheur des antiquaires du monde. Un hôtel fou de luxe, " the Président " qui appartiendrait à Markos, riche Président infatué, vous accueille dans un immense lobby où une impressionnante chute d’eau aux couleurs changeantes, laisse place a des orchestres juchés sur des nénuphars de béton. Les serveuses très belles, et très maquillées, viennent d’une tribu voisine. La pression de la rue est considérable. Des Jeeps américaines au châssis rallongé pour charger plus de clients, et au capot plat agrémenté de chevaux chromés, roulent en tous sens dans un vacarme musical assourdissant. Des jeunes filles, toutes de blanc vêtues marchent sur le trottoir en riant et l’une d’elles se précipite dans vos bras pendant que les rires décuplent. C’est un pari ! Elles s’amusent, simplement. Cependant, quand vous prenez l’ascenseur de l’hôtel, appuyez vite sur le bouton pour fermer la porte : vous êtes suivi ! Raoul participe a une réunion de notables du réseau électrique. Il reste digne, mais en fin de réunion demande ce qu’il doit acheter à Manille. La réponse unanime et doctorale est " the man in the Baril ". Dans une grosse voiture officielle avec chauffeur à casquette, le voilà dans ce grand magasin. Des hommes sculptés dans leur tonneau il en découvre de toutes tailles. Ne les sortez pas du tonneau. Il a ri, mais n’a pas acheté ce souvenir. Les occidentaux sont trop timorés. Pour Raoul, après la Grèce qu’il aime, Manille est le paradis chaud, le plus adorable.

Ces commentaires sur chaque pays ne donnent qu’un cliché pris par un passager ingénu. Aucune garantie d’objectivité profonde comme les esprits critiques savent en trouver de plus brillantes.

La règle de vie facile, dans les pays tropicaux, est cependant indéniablement confirmée.

Visa pour l’Amérique

Après les clichés, le film.

Raoul connaît bien les Etats Unis. Il apprécie ce pays où les gens sont encore plus ingénus que lui. Son approche fut un peu privilégiée. Il participe surtout a des congrès parrainés par " Rock Mechanics " Association mondiale dans sa branche d’activité, et par la SIM, la Société de l’Industrie Minérale, française.

Les visiteurs qui arrivent aux USA par New York sont certainement traumatisés : folie du mouvement, décalage horaire, difficulté à s’expliquer, et même le change créent une panique envahissante. Après trente vols, Raoul ne connaît toujours pas New York, le Bronx, Brooklyn, où Harlem : c’est une chance. Quelle opinion des Français pourrait conserver un américain visitant seulement Pigalle à Paris ? (rapprochement douteux). Chicago qu’il connaît mieux n’est guère plus accueillante pour le paumé qui débarque, mais vous n’êtes plus tout à fait seul. La fille du desk de la Compagnie est cool. Elle est habituée aux angoissés et abandonne tout travail et son bureau où elle est seule, pour vous conduire par des couloirs mystérieux et encombrés jusqu'à une belle salle de cinéma où un personnel avenant habillé avec fantaisie : shorts, tee-shirts, jupes, gilets, foulards vous attend auprès de plusieurs bars. C’est curieux : toutes les couleurs sont assorties. Quelle surprise ! Alors qu’on pensait prendre un avion taxi, où un bimoteur pour Denver, c’est un 747 de United et l’atterrissage se fera dans trois heures à plus de deux mille kilomètres d’ici. Ce pays fait quatre mille cinq cent kilomètres de large. Quelle immensité ! Point fixe de l’avion. Une hôtesse s’installe en position décontractée, jambes en l’air, et raconte des histoires au micro. Tous les passagers s’esclaffent, sauf un, qui ne comprend pas l’humour et le slang. Sur tous les vols, et il en fit beaucoup, ce sera le même scénario. Raoul a perdu une valise, et souhaite visiter les soutes en vol. On rit.C’est l’équipage au complet qui ramènera la valise à l’hôtel de Denver. Le spectacle de cette dizaine de jeunes alignés, chamarrés comme au carnaval et faisant des gestes d’amitié laisse un excellent souvenir. L’hôtel Hilton de Denver n’est pas plus sérieux. Des ouvriers en bleu de travail propre séjournent à l’aise dans ce cadre luxueux. Les clients vous abordent par sympathie ; ils viennent tous aussi d’ailleurs mais eux, depuis bien longtemps. Le lendemain matin, au réveil, le couloir est empli de fumée. C’est une télévision qui a implosé dans une chambre voisine. Raoul se précipite a la réception, et dans l’anglais parfait qui le caractérise s’écrie " fire at the second floor " Dans les cinq minutes qui suivent, le spectacle, au bruit infernal, suraigu des sirènes devient dantesque. D’énormes camions de pompiers, chromés comme ceux du collecteur laitier français arrivent de partout. Des hommes casqués, rutilants, bouteilles dans le dos et hache à l’épaule, surgissent et foncent. Raoul conseille aux petits français d’apprendre ces quelques mots en Anglais, même approximatif et de s’en servir. Ils auront pendant un moment les plus beaux jouets du monde et seront plus forts que Batman.

Vous allez croire que le Congrès s’amuse ? Un avion taxi se pose à Fort Johnson au Colorado dans une mine d’uranium. Le Directeur compte un français dans son équipe. On va lui faire une surprise. C’est inhumain de faire parler sa langue natale à un type qui n’en parle plus un mot depuis vingt ans. Où alors, il a une autre histoire. Au fond de la mine, les conducteurs d’engins sont intéressés par cette visite. Ils arrêtent leur machine, et viennent discuter longuement, tranquillement. Il n’y a pas, comme enEurope cet impératif de rendement qui déforme le sens du travail et le rend rébarbatif. Leurs ouvriers sont adultes. On leur fait confiance. C’est une main-d’œuvre fonctionnelle avec ses outils d’entretien accrochés a la ceinture comme des pistolets. Voilà quarante ans, le G.I. du front, devant son mortier, raisonnait pareil. On en riait alors, mais on est toujours stupéfaits de leur comportement, normal pour eux. Les Américains vivent facilement isolés dans leurs vastes régions, car tout est à l’échelle du gigantisme. Plaines immenses et Montagnes, Rocheuses aussi ! Par comparaison, la France, si belle, est une réduction miniature où il est facile de changer de paysage. De chaque côté d’une route de campagne quelconque est alignée une simple rangée d’habitations et de magasins. Ceux qui y vivent n’ont pas peur des voleurs, car les coups de feu claquent facilement. Ils n’ont plus le droit d’avoir le pistolet à la ceinture, mais il reste dans la boite à gants de leur grosse voiture, et ils s’arrêteront devant un panneau de signalisation routière pour vérifier la précision de leur tir. On connaît aussi cela dans l’Ile de Beauté, la Corse, mais chez eux, les trous sont plus gros. Nous n’avons pas ces armes. Le Far West est le paradis des héros de Western. Vous les rencontrez partout au naturel, avec leur grand chapeau, leur foulard et leurs petites bottes ouvragées. Certains cherchent encore de l’or dans les thalwegs perdus. Un véhicule pick-up avec une boite caravane juchée dessus en pleine nature, indique que le prospecteur n’est pas trop loin. Raoul qui s’y connaît apprécie l’intense minéralisation des sables noirs, indice d’or. Le rêve américain de fortune, reste toujours possible. Raoul connait bien aussi cela, et il n’en parle plus. Il regarde, avec nostalgie, dans le Grand Canyon du Colorado, enfin à ses pieds, ces " races ", les habituels canaux des chercheurs d’or, creusés au flanc d’une rive rocheuse abrupte. Voilà plus d’un siècle ils conduisaient déjà l’eau à hauteur voulue. Sacré courage de pionniers sans moyens. Repartons dans la plaine. Des Indiens apaches chapeau noir et couverture sur le dos font de la sismique réfraction en plein désert sur leur camion laboratoire.

Ne racontez surtout pas ce qui suit, hors travail ; un congrès s’amuse toujours un peu, et va visiter l’Académie de l’Air à Colorado Springs. Deux bus de la Greyhound chargés des cerveaux musclés internationaux font la course en parallèle. Les chauffeurs préparent-ils Indianapolis ? On n’a pas peur dans l’Ouest, et la route, bordée des vraies collines rouges à la John Wayne, justifie les cascades sèches des comédiens à cheval et en autobus. On s’arrête dans un bistro folklorique. Le musicien répare sa sono à coups de pied et une vieille indienne sert les haricots rouges d’une louche désinvolte et maculante. Il a déjà connu cela chez les grecs, au Pirée. L’arrivée à Colorado Springs est spectaculaire. C’est la très grande base de l’aviation militaire des USA. Des terrains de sport à perte de vue où des milliers de jeunes pratiquant le base-ball, le football américain et autres sports, se confrontent dans un jeu de couleurs. Ceci pour raconter un point curieux. La cour de l’école est un immense glacis à grands damiers blancs et noirs. Il est interdit d’y marcher en diagonale. Ces centaines d’étudiants militaires faisant des quarts de tours réglementaires pour rejoindre perpendiculairement leur point d’arrivée c’est drôle. La discipline qui fait la force des armées impose ce comportement soumis et patriotique. On retrouve un peu partout ces règles symboliques, même dans les écoles primaires où les enfants portent l’uniforme. L’histoire continue dans le Middle West, région de plaines à faire jalouser le monde. C’est le pays de l’herbe verte, si riche qu’on appelle cette région les " bluegrass ". C’est l’arche de Noé de leurs régions centrales tempérés. Les plus beaux chevaux, les bovins de race, charolais compris, sont regroupés la, et pour ne rien manquer, les puits de pétrole font leur génuflexion répétée à feu Paul Getty. La richesse permet tout. L’été vous pouvez louer les ranches, les animaux sont en transhumance avec leurs cow-boys, leurs grands chapeaux et leurs chemises à carreaux, comme dans le feuilleton " Dynastie " Ils ont la corpulence des satisfaits et leurs joies sont simples. L’un de ces gros fermiers, berçait avec sérieux une poupée d’enfant, sous les rires de ses amis. Nashville est tout près. Allons voir ! Partout ce ne sont qu’orchestres et chansons. Le personnel des bars et restaurants doit avoir de belles voix, et toute serveuse estcapable d’entonner un air jazzy aussi bien que le grand air de Carmen.
Ce soir, voilà un français chez nous ; beau thème. Applaudissements à l’arrivée, et tout le répertoire y passe. Sacrée soirée. Ils nous aimaient bien. Partout, l’accueil familial est le même. On arrive dans leur bungalow, extérieurement en bois, et qui n’est séparé de ses voisins par aucune haie ni barrière, mais du gazon. Pour recevoir, c’est facile. Ce sont toutes les jeunes filles du voisinage qui viendront organiser la réception. Cette communauté a encore deux avantages: la verdure est entretenue sans problème par les voisins, et les petits écureuils roux, nombreux, peuvent gambader partout. Raoul participera a d’autres congrès, à Detroit et a Pittsburg, centres industriels de l’automobile. Sa seule réflexion porte sur la façon de conduire des américains. On n’est plus dans l’Ouest. Chacun prend son couloir et s’y tient. Les voitures sont des salons, la vitesse est très limitée, et leur décontraction habituelle, complète ce constat de tranquillité. Les cops seraient d’ailleurs sans pitié à la moindre conduite hasardeuse.

D’autres voyages laissent un simple cliché d’anecdote.

En Turquie, on ne respecte pas les vestiges anciens à représentation humaine. Tradition islamique oblige. De magnifiques statues de marbre, grecques émergent partiellement du sol derrière trois barbelés. Marie, la Vierge, se retira dans une chaumière de la montagne, près d’Ephèse, les magnifiques vestiges romains en bord de mer. Plus loin, en Cappadoce, les grottes troglodytes de Byzance ornées d’icone peintes, servent de pigeonniers. Quel patrimoine archéologique est ainsi à l’abandon dans ces terres souvent surchargées d’Histoire.

A Sidney en Australie, visite d’un grand magasin. Les vins du Rhin y font une promotion spectaculaire. Les vignerons allemands étaient mieux adaptés que les français à la grande exportation, voilà vingt ans, déjà. Pourtant les aventuriers français ne manquent pas dans la restauration. Par avion-taxi, la beauté de la côte Nord jusqu’à Newcastle s’accompagne d’une exceptionnelle luminosité. Ce pays de pionniers rustiques et d’anciens forçats, parait brutal. Il est sillonné par des "trains camions" longs de cinquante cinq mètres. Pays d’audace.

Pour terminer ce sujet, Raoul a fait un speech de conférence en Anglais, à Singapour, devant un parterre de cinq cents ingénieurs chinois qui ne parlaient heureusement, parait-il, qu’une forme de pidgin, cet anglais rustique, international des marins. Il a dû manquer de classe, car le chef du laboratoire de mécanique des fluides de l’Ecole Polytechnique, lui avoue plus tard à Palaiseau, dans la cour où il le reconduisait : " vous avez en face de vous un savant ! ". Cela montre sans doute les efforts restant à faire pour figurer au Gotha. Raoul ne sera jamais un savant.

Il va encore essayer de progresser, mais c’est bien tard.

Philosophie politique apeurée

Raoul l’ingénu, entre à l’Ecole Centrale de CHATENAY MALABRY pour suivre à nouveau des cours de Mécanique des Sols et s’adapter éventuellement à des applications et des terminologies nouvelles, qu’il ignorerait. Dans le grand hall qui conduit à l’amphi, derrière une vitre, trône l’avion de Louis Blériot, un Centralien. Les pensées sont lourdes ! Comment cet intellectuel, grand sorcier blanc, léger en poids mais plus lourd que l’air, a-t’il pu réaliser un tel exploit sans pouvoir en mesurer l‘évolution et les conséquences ? En commençant par cette courte liaison France-Angleterre imaginait-il par le développement incroyable de l’aviation, un rapprochement induit entre des peuples, si éloignés par leurs civilisations si différentes ? C’est un sujet ingrat, car on ne force pas si vite la distance qui sépare les cultures.

La France en particulier concerne Raoul l’ingénu; c’est son pays qu’il a quitté longtemps, étonné, et où il reprend à nouveau sa place encore plus étonné, mais blasé. Il craint pour son pays et n’accepte pas les conseils de ceux qui jouent l’avenir dans leur mentalité judéo chrétienne. Les civilisations peuvent s’effondrer. Troie et son fameux cheval est turque. Par quel étrange retour de l’histoire, cette France qui prétendit apporter ses lumières mal comprises, à des peuples soumis chez eux, sans espoir, peut-elle imaginer les transformer chez elle en piliers de la République ? Vieux pays révolutionnaire, où tous les hommes sont libres et égaux, où vas-tu ? Depuis plus de deux siècles, tu as tout gagné, et tes luttes même perdues sont autant de victoires. C’est l’enseignement qui l’apprend, grâce à Proudhon et Marx qui s’y connaissaient. Tes chants guerriers, comme la Aka des rugbymen ne sont plus qu’incantatoires. L’illusion des enseignants est pathétique, en croyant au melting pot à la française de cette jeunesse importée. Ces enfants sont différents et ont leur atavisme issu de tant de générations inféodées familialement et religieusement. Ces enseignants eux-mêmes sont-ils crédibles pour réaliser un marquage national suffisant de ces jeunes pousses ? Marqués eux-mêmes auparavant en rouges républicains, exaucés par l’avatar de Mai 68, consécutif à une dérive intellectuelle, et gérant les enfants issus de la génération de cette époque avec une connivence relative, il est déjà bien difficile de leur faire confiance. Comment imaginer que la douce France puisse devenir une tour de Babel harmonieuse ? Ce vieux pays géographiquement tempéré a une richesse foncière qui inspire l’étranger non pour cultiver, mais pour consommer. Souvenir, un couple maltais s’extasiait dans un train de toutes ces terres cultivées, et ils se les montraient toutes, du doigt. Ces voyageurs venant d’une île caillouteuse étaient admiratifs. Et vous, enfants gâtés ? Beaucoup de Français trouvent cette dispersion de la richesse nationale normale. Ils ont tort. Ceux qui voyagent le savent. Ils devraient le dire plus fort !

Le monde est un patchwork de civilisations disparates qui ne se mélangent pas dans une harmonieuse mosaïque, sauf dans les rêves risqués des occidentaux. En Mauritanie, les maures blancs et les maures noirs ne s’accordent pas; dans le Maghreb, les arabes et les juifs ont vécu côte à côte pendant des millénaires, et leur séparation a été brutale.
En Afrique noire, les rapports entre animistes chrétiens et islamisés sont tendus et ils guerroyèrent au Biafra nigérian, au Liberia, comme ailleurs ; entre animistes seuls, le Congo, l’Angola, le Rwanda pour ne citer qu’eux se sont battus sauvagement dans un pays paradisiaque..Au Sahara les Arabes sont mal vus ; leurs passé esclavagiste est accablant, et les touareg sont maintenant en rébellion.

La comparaison faite par Raoul est simple comme son enfance en Bourbonnais.
Le monde est comme une table chargée de bols de lait, où la crème surnage. Cette crème plus où moins riche existe dans tous les pays. Il suffit de savoir la séparer à temps du lait qui peut tourner à l’aigre, avant d’en faire le beurre. Les paysans comprendront.
La crème concerne aussi les nantis de tous les pays qui passent chez nous pour faire du tourisme, et sont bien dans leurs pays où souvent la richesse excessive côtoie, sans clarté, la pauvreté extrême. Le lait, souvent aigre, vient des villages, favélas, médinas, ghettos, bidonvilles, qui viennent dans notre paradis supposé où leur importance est défendue, dans leur esprit par leur excès de réclamations. Les jeunes africains par exemple, deviennent agressifs, alors qu’ils sont partout assimilables. Les jeunes arabes nous exècrent, plus fanatiquement religieux que dans leur pays d’origine. Ils sont entrés comme dans un moulin et la France a son tour est devenue colonie de peuplement aigre. Raoul se souvient d’un jeune animiste brillant d’une tribu de la grande forêt qui dut faire de bonnes études de médecine africaine. Vous pouvez croire qu’il n’est pas reparti accomplir un apostolat dans son pays, le Congo, où il serait écrasé sans évolution, recherche, moyens d’action, suivi et même environnement, mais qu’il exerce tranquillement dans un hôpital européen. Les soins dans son pays parmi d’autres, c’est l’affaire des Docteurs, généralement européens au dévouement hospitalier soutenu par notre pays, la France, pas de leurs nationaux. C’est aussi l’affaire des ONG, souvent trop charitables, pas toujours désintéressées. L’un d’eux passait chaque année de bonnes vacances de pêche au Cap Vert pour nourrir les autochtones. Rappelons aussi, en philosophe désabusé, l’histoire de Barry, jeune médecin Africain, formé rapidement, quand nos idéalistes pensaient qu’ils serviraient dans leur pays d’origine. Il était reparti à l’indépendance dans sa Guinée natale, et disparut très vite, assassiné parce qu’il contestait trop, à la française. Son fils s’appelait Barry Mohamed Charles ; sa gourmette avec ses initiales BMC était drôle. Sa mère était gabonaise catholique. Quel tiraillement familial ! Ce fut un ami de Raoul, qui l’honore de son souvenir. Le sujet chagrinant aussi Raoul, est que le critère de base pour un accueil raisonnable de parler la langue du pays d’accueil ne soit pas respecté. C’est pourtant le plus facilement contrôlable dans les consulats qui délivrent généreusement les visas et aux frontières. Par un laxisme incroyable des gens qui ne parlent que leur dialecte et ont toujours vécu en promiscuité vont logiquement se regrouper dans un nouveau ghetto, une médina verticale, la barre de la cité, où l’on nous accusera ensuite de les avoir parqués. La générosité du regroupement familial a déjà permis de telles dérives imprudentes. On aime bien les difficultés insurmontables !

On ne peut quitter cette histoire sans parler des risques sanitaires.

Le Sida, le " slim " est la maladie de la maigreur pour laquelle nombre d’Africains ne font pas encore la relation entre cause et effet. Dans toutes les histoires de Raoul vous avez compris l’extrême liberté sexuelle, liée implicitement aux nécessités de procréation. Prenez l’exemple du Congo Brazzaville. La densité de population est de huit habitants au kilomètre carré. L’espérance de vie est moins de cinquante ans, mais va tomber de moitié dans l’affolement contre la mortalité. Que faire pour ces millions d’individus, enfants compris, détruits par cette pandémie dans des régions qui ne sont même plus accessibles. Le Gabon qui s’est bien développé compte quatre habitants au kilomètre carré. Il a les mêmes problèmes. Au Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, cent quarante habitants au kilomètre carré, où l’espérance de vie est plus longue, ce pays musulman ayant un climat plus sain, les endémies : sida, lèpre, tuberculose, sont aussi dramatiques. Vous pouvez apporter votre aide facilement : Les péripatéticiennes de Lagos et de Kano sont maintenant sur les trottoirs de Paris. Elles sont anglophones.

Epilogue

Vous avez suivi avec plaisir ou réserve la vie professionnelle de Raoul L’Ingénu.

En partant d’un départ hasardeux dans la vie, il a suivi pendant plus de quarante années sa voie entêtée dans le seul milieu où il accumulait de l’expérience : les mines. Il y a réussi dans ses limites. Cette expérience passée n’a aucune valeur d’exemple.

N’étant plus le " grand sorcier " de la première époque, l’aventurier moderne est vulnérable sur ces terres ingrates. Ce capitaine devra commencer à construire son navire, formera un équipage dévoué et souvent sympathique, qui pourra perdurer, s’il a bien choisi une mer paisible. Cependant, les tempêtes sont imprévisibles et notre capitaine sombrera toujours avec son bateau qu’il aimait, qu’il a construit de ses mains et qui n’a plus aucune valeur. Une tempête peut même s’amorcer sur une rumeur mythique.

Raoul connait la mentalité noire des deux côtés de l’Atlantique. Elle est infantile, généreuse, imaginative et toujours dansante. Leur passé, souvent inféodé et esclave est atavique. Ils émergent lentement dans un monde que nos certitudes prétentieuses estiment souhaitable. Ils ne sont encore que rarement assimilés à nos philosophies d’action. Ils rêvent.

Les maghrébins forment un ensemble hétérogène marqué par une grande diversité des cultures. Leur capacité commerciale est importante, dans la lutte pour la vie de populations denses. On saisit mal leurs arrière- pensées souvent conflictuelles et calculatrices. La franchise en ressort rarement. Ce sont de bons exécutants. Généralement, ils respectent les choses et les biens, mais n’ont pas d’esprit d’initiative. C’est le fatalisme : Mektoub est l’acceptation du destin, et Inch Allah est si Dieu le veut. Ces mots sont d’utilisation très courante. Dans un grand tunnel (le Fréjus, sous les Alpes) la main-d’œuvre était immigrée. L’ingénieur responsable avouait sa satisfaction d’un personnel exécutant les ordres sans barguigner, dans ce milieu difficile. Disons que ces ouvriers sont de la première génération. Leurs enfants sont imprégnés, souvent superficiellement, d’instruction française. Résultat ?

Les proches et extrême-orientaux ont des civilisations brillantes qui sont cruelles. Ces pays très peuplés sont adaptés à une lutte pour la vie et la réussite, pas pour un humanisme à l’occidentale.

Raoul accorde aux américains du Nord qu’il connait bien un jugement simple : c’est un peuple jeune et violent ; le " melting pot " de peuples immigrés occidentaux auparavant, mal dans leur peau, a réussi. Il fallait un symbole catalyseur, c’est leur drapeau étoilé dont ils sont fiers. Partant de cela, les jeunes sont tombés par milliers sur les plages de Normandie et ailleurs, ce que l’on ne comprend pas toujours très bien. Leur mentalité est bien différente et après nos démonstrations combatives de la dernière guerre mondiale, nous sommes très mal placés pour critiquer. Laissons l’histoire trancher dans la suite de la partie. Ils nous précèdent souvent.

Les sud-américains et tous les hispaniques sont gens de passion : religieuse, artistique, politique ; ils sont chaleureux, mais durs, comme leur vie.

Pour les français restés au pays riche, trop revendicateurs, rappelons-nous, simplement : Une grand’mère, paysanne et illettrée, disait autrefois à Raoul l’Ingénu, dans sa sagesse :

LE MIEUX EST L’ENNEMI DU BIEN. Au fond, c’est aussi l’antienne de sa vie.

 

CONCLUSION FAMILIALE

Vous avez suivi de temps à autre l’évolution familiale de Raoul’ Ingénu.

Il était parti avec sa châtelaine, Championne de karting vers une vie différente et risquée. Ce fut un mariage d’amour et, ce qui ne gâtait rien elle recevait bien, s’habillait bien, était classe avec son long fume cigarettes et adorait la danse classique qu’elle pratiquait.

Contons l’histoire de la belle !

En ce temps là, entre deux guerres, la radio était un luxe et la télévision n’existait pas encore. On se distrayait à de rares spectacles.

Une troupe de baladins va de ville en village au rythme lent de ses haridelles. Elle installe ses décors dans la salle des fêtes où dans une impasse de rue, chaque spectateur amenant sa chaise. Le grand-père joue Sganarelle de Molière, Théodore de Courteline, Champignol de Feydeau, Cyrano de Rostand et la troupe fait pleurer les chaumières dans Les Deux Orphelines, les Chouans où La Porteuse de Pain.

Dans cette dernière pièce, il faut un pauvre bébé dans son berceau de misère. Mieux qu’un enfant en celluloïd, on y place la petite fille de la famille, ce qui va donner encore plus de vérité et d’émotion. Evidemment, cela ne dura pas, mais ce fut son premier rôle.

Cette vie errante, depuis plusieurs générations, était dure, et ils s’exilèrent avant la deuxième guerre mondiale au CAMEROUN entre la Basse Côte forestée et le volcan pelé, pour y cultiver des bananes. Les enfants suivirent évidemment cette aventure et à la fin de la guerre, du bébé, avait éclos une jolie fille un peu sauvageonne..

Son père trouva une pierre lourde, un peu brillante et de teinte métallique. Etait-ce de la galène, de l’antimoine où du molybdène ?

Pour le savoir, le Service des Mines envoya un fringuant Ingénieur des Mines géologue et bourgeois qui ne trouva pas de gisement exploitable, mais une pépite étrange et rebelle. . Il l’épousa car on ne plaisantait pas sur les relations, en ce temps là, et entre deux missions d’étude et d’aventures dans des pays difficiles, elle gérait ce grand château dans un cadre grandiose qu’elle n’aimait guère.

Ils s’installèrent un temps à l’Office Chérifien des Phosphates pour une vie plus stable, mais le destin veillait. Raoul l’ingénu président du karting-club intervint, mais pas seulement pour améliorer les performances du bolide. Ils s’enlevèrent, l’un, l’autre, en laissant tout et sans avenir assuré.

Le temps à fait son œuvre.

A leur plus jeune âge, les enfants n’ont pas tous supporté le choc entre éducation de château couvée et tolérante et une vie de famille soudée normale et autoritaire. Il en reste assez.

Les deux hommes qui ont marqué la vie de la belle étaient restés amis. Ils avaient beaucoup de souvenirs communs et s’estimaient.

Ne le répétez pas ! Raoul, l’Ingénu et sa châtelaine ont une vieillesse heureuse.

TABLE DES CHAPITRES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plaidoyer colonial

Une enfance marquée

Chercheur d’or par hasard

Pionnier du chemin de fer

Islam et Sahel

Chemin de fer qui marque

Mine d’or réfractaire

Les phosphates marocains

La vieille Europe

Le monde qui bouge

Visa pour l’Amérique

Philosophie politique apeurée

Epilogue

ISBN 2-0525269

Le 14/09/2005

A N N E X E S

Points de vue variés et iconoclastes sur notre drôle d’époque

Africa terra incognita

 

La voûte de la serre

 

Une jeunesse engagée

 

Boum au Belarus

 

Boum boum à Toulouse

 

 

AFRICA TERRA INCOGNITA

La FRANCE est un pays bien place géographiquement, climatiquement, socialement, philosophiquement, artistiquement, entre les hyper-latins au sud et les hyper anglo-saxons au Nord. Métissée, elle se prend donc pour le nombril du monde actuel et ne regarde que lui. De son passé chargé elle ne conserve que ce qui lui convient : les révolutions par exemple, et rejette ce qui lui déplait : l’aventure coloniale, par exemple.

Raoul L’Ingénu ne veut pas vous convaincre que ces coloniaux étaient souvent des humanistes pétris de nos valeurs supposées. Et pourtant !

L’accusation d’esclavagisme en AFRIQUE hante la pensée française qui bat depuis longtemps son mea culpa. La lecture de l’histoire du 19e siècle, époque de cette épopée, est pourtant édifiante sur la générosité d’esprit des premiers explorateurs qui ouvrent la colonisation.

Le Docteur David LIVINGSTONE, pasteur anglican est en 1841 l’un des premiers " blancs " à sillonner l’Afrique Australe pour apporter la bonne parole à ces populations misérables.

Il prend simplement le chemin des caravanes arabes du Proche-Orient, depuis ZANZIBAR, sultanat qui fournit tout le négoce en esclaves du Moyen Orient, ce qui atténue son risque. Il est entouré dans sa mission évangélique de ses adeptes : famille et religieux compris, puis devant l’ampleur de la tâche devint le voyageur lettré et compatissant qui ouvrit l’histoire et la géographie de ces régions " inconnues et désertes ". Il stigmatisa la traite des esclaves dans ses écrits et conférences et mourut le 4 Mai 1873 sur les rives du lac Tanganyika à 60 ans.

L ‘exploration fut assez facile pour LIVINGSTONE qui progressait dans un pays de savanes, montagnes et lacs. Par exemple à KIGALI, au RWANDA, à 1.400 mètres d’altitude, on cueille maintenant fraises et cerises et le réseau routier bon dans ce pays volcanique a été créé par des français.

L’Officier de marine SAVORGNAN DE BRAZZA, franco-italien quitte LIBREVILLE (la bien nommée) pour LAMBARENE le 11 Janvier 1876. C’est un anti-esclavagiste passionné, bien que ces régions très peu peuplées d’animistes ne donnent pas d’exemple marquant de cette servitude humaine. Il passe un accord symbolique avec le MAKOKO des BATEKES qui accorde à la FRANCE toute la rive droite du fleuve CONGO, le 10 Septembre 1880.

Il quitte ses missions d’exploration où il a laissé partie de son patrimoine et se marie avec Thérèse de Chambrun en 1895. Ils vivront à ALGER, déçus de la FRANCE. Ilrepartira en mission officielle en 1905, juger ce qu’est devenu ce pays primitif qu’il aimait et a été découpé en concessions pour 30 ans.

Il en revient furieux et fatigué après quelques mois et meurt au retour à DAKAR le 14 Décembre 1905. Il a 53 ans.

Citons pour mémoire René CAILLE qui en 1828, déguisé en bédouin découvre TOMBOUCTOU, une cité décevante. C’était aussi un explorateur philanthrope. Il est mort à 39 ans.

La critique française de nos explorateurs fut toujours virulente. Nos gouvernants de la troisième république, critiquaient, mais acceptaient cet empire colonial neuf.

 

Revenons à cette Afrique équatoriale de l’Ouest maintenant connue.

Les cinq frères TRECHOT, morvandiaux durs à l’ouvrage sont les premiers à s’implanter au CONGO vers 1888. Ils commencent par du petit commerce. Ils achètent des peaux, du caoutchouc, de l’ivoire et revendent en factoreries des produits élémentaires comme le sel, les pagnes, le poisson salé (makayabo portugais). Jacques de BRAZZA, brillant chercheur, le frère de Pierre SAVORGNAN, employa François TRECHOT comme mécanicien. Malgré leur faible capital initial ils sont bien placés pour s’imposer.

Ensuite, le Congo dit français fut officiellement partagé par l’Etat (!) en quarante concessions cédées à des compagnies aux prétentions de développement. SAVORGNAN fut contre, ce qui provoqua un litige gouvernemental dont il sortit écoeure. Les TRECHOT déjà sur place, s’adjugent la Compagnie Française du haut et bas Congo, la CFHBC, une des meilleures. Forts de leur monopole (35.000Km2), protégés par l’Administration, c’est le début de leur fortune. Ils lancent des plantations de palmiers à huile, des coupes de bois, des transports par bateaux.

Pour cela il faut un personnel acceptant une telle vie !

Il se recruta en France parmi les aventuriers, voire les meurtris de la vie : divorcés, condamnés, pouvant supporter le climat et les conditions pénibles.

Ce sont des pionniers. On n’a pu les mettre en valeur dans des pays aussi hostiles. Sinon, quels beaux Westerns on aurait pu faire pour la joie de nos enfants qui en seraient fiers. L’esprit français n’est guère inspiré par l’épopée coloniale.

Cette exploitation rustique de la colonie, en parlant les langues locales, et en prenant une femme du pays, (la ménagère), s’acheva à la fin de la seconde guerre mondiale. Nous entrons, après les explorateurs, puis les pionniers, dans la troisième phase, dite normalisée.

Ces familles sont plus exigeantes en conditions de vie. Elles s’isolent. Ce confort a un prix : l’achoppement des contacts avec les habitants, qui alimentaient les palabres par l’étonnement renouvelé. On n’apprend plus la langue locale, on enseigne le français et notre culture. Une élite intellectuelle s’en dégage, réfléchit et revendique.

La conséquence est une remise en cause de la présence de cette " tribu blanche " désacralisée, nantie, qui sera rejetée, quelquefois brutalement.

Ainsi se sont terminés : l’implantation française en Algérie, l’élimination de tous les cadres miniers au Maroc, et des " colonies de peuplement " à Léopoldville, ex-Congo Belge, les vicissitudes d’Abidjan, l’apartheid d’Afrique du Sud.

Le similaire de l’apartheid est le communautarisme.

Il procède des mêmes raisons politiques et aura les mêmes conclusions.

C’est donc une situation inversée que nous supportons, cette fois.

Ces échecs déplaisent-ils au citoyen français. NON.

Ce jugement élémentaire sur les expatriés qui faisaient " suer le burnous " va affiner votre jugement. Ce sera une expérience cruciale, ici comme ailleurs, et une aliénation douloureuse.

 

LA VOUTE DE LA SERRE

Pour engager une conversation, le plus simple, c’est de parler du temps qu’il fait.
Un passé pas trop lointain, un présent toujours anormal et des prévisions proches souvent inquiétantes sont des sujets inépuisables de météorologie. L’Homme a une nature angoissée qui s’exprime, face aux éléments rarement déchainés.

Des savants, où croyant l’être, ont inventé un thème plus fort qui augmente encore cette angoisse : la climatologie, et les conséquences à long terme du réchauffement climatique. C’est un sujet dramatique dans toutes ses hypothèses et l’homme en est jugé responsable et coupable. Qui peut contester ces abaques à crosse de hockey dont l’extrapolation si inquiétante est présentée avec autorité par les émules de CELCIUS ? Ce ne sont pas des COPERNIC, pas même des GALILEE, ce sont les enfants naturels de l’ORACLE, cette pythie de Delphes qui augurait près d’Omphalos, le centre du monde, l’avenir des grecs superstitieux.

Madame MICHU tendit l’oreille. Une rumeur lui parvenait.

En s’approchant, la rumeur s’amplifia, puis déboucha la fanfare.

En tête, le chef METEO dirigeait ses musiciens de main de maître.

Cette musique contemporaine ne plaisait pas du tout à Madame MICHU

- quel était donc ce compositeur célèbre, dont les artistes suivaient bien les partitions ?

- mais, c’est le Professeur CLIMAT lui répondit-on ; il est bien connu à la télévision.

- et, comment s’appelle ce morceau ? demanda-t’elle.

- LES FEES DE SERRE, lui expliqua-t’on. Elle cru à un des contes qui berça son enfance.

- non, elle ne connaissait pas ces fées là ! Alors elle leva les yeux au ciel bleu où l’attendait son défunt mari et poussa un cri :

Un voile....un suaire, une serre, lui cachait le soleil, crût-elle.

L’EFFET DE SERRE est bien connu sur l’Equateur thermique.

La température est si lourde que l’eau s’évapore, et forme une épaisse couverture nuageuse. Ce voile masque complètement le soleil, pendant presque toute l’année. On ne bronze pas. Ce soleil, qu’on ne voit presque jamais, chauffe pourtant fortement la tête Les infrarouges, seuls, arrivent jusqu’au sol et sont brûlants.

Sans cet équilibre naturel, d’épaisseur importante, l’Homme ne tiendrait pas. Les explorateurs portaient d’épais casques en liège et cette protection perdura pendant plusieurs générations.

Au SAHARA, le soleil brûle. Les infrarouges et les ultraviolets passent sans retenue dans un ciel lumineux. Deux autres problèmes : l’eau et le vent.

Sous nos pays tempérés, cet effet de serre là n’existe pas, le soleil étant plus doux et laissant passer les U.V. On bronze, l’été.

Cherchons une autre cause en allant voir ce qui se passe chez nous. : (De haut en bas)

- l’exosphère a une température de +300 à +1600 degrés. C’est sans importance, la chaleur ne se transmettant pas, faute d’atmosphère. Sans filtrage des rayons solaires et à cette altitude, l’homme ne pourrait exister. C’est le vide sidéral.

- la thermosphère, très chaude, (1.000 degrés) est située de 90 à 1.300 kilomètres. C’est le vide spatial des astronautes.

- la mésosphère est située entre 80 et 90 kilomètres. La température est entre -80 et -100 degrés.

- la stratosphère se situe entre 15 et 80 kilomètres. Température variable à niveau glacial vers 50 Kilomètres d’altitude, plus froide à la base.

- la troposphère s’étale entre 8 et 15 kilomètres Elle est froide. C’est l’altitude des avions de ligne et de l’Everest.

Où se situerait donc la voûte de la serre ?

Les cumulus nuageux montent quelquefois jusqu’à 18.000 mètres et la CO2 passant à l’état solide à -78,5°, ce serait donc dans la stratosphère que se placerait la clé de voute. Petite surprise ! Le CO2 est un fluide très, très anodin pour l’effet de serre. Sa densité l’empêche de monter si haut et il se dilue intimement dans l’air des courants à tous niveaux..

Si on lui applique une valeur 1, le fluide CFC de nos réfrigérateurs a un indice de 1.300. Voilà l’ennemi.

Examinons les CFC. C’est un fluide à l’état liquide qu’on fait monter à l’état gazeux pour produire du froid, où du chaud.

Les pompes à chaleur, thermiques où électriques font passer un liquide à sa détente gazeuse, soit en le chauffant, soit en le compressant.

A contrario, en arrivant dans les zones bien froides de la stratosphère les CFC se liquéfieraient nécessairement. Ils ne montent pas si haut.

Ces gaz, s’ils arrivaient à une telle altitude sous forme imprécise seraient ensuite repris par les vents atmosphériques qui les emporteraient on ne sait où.

Les nuages avec où sans ces gaz arrivent de l’Atlantique, donc de l’Amérique, de la gauche vers la droite et ils sont tièdes et humides. Quand ils arrivent de Russie ils sont froids.

J’ai presque tout compris s’écria Madame MICHU. Evelyne nous montre ça tous les jours à la télé.

L’INGENU parut défait par cette explication pleine de bon sens, l’Effet de Serre perturbateur du climat avec ses pollutions gazeuses, n’existe pas. Tous ces vents, au sol et en altitude le dispersent dans l’espace.

Ce mélange batifole dans les forêts et la végétation d’une importance considérable enFRANCE et ailleurs, qui les collecte. Leur nombre est incalculable et couvre au moins le tiers de la surface du pays. Tout ce qui brûle : forêts, champs, c’est le carbone qui les avait constitués, simplement.

Quel dogme a fait classer le CO2 anodin comme une concentration illusoire pour constituer un diaphragme qui ferait monter la température de la terre, jusqu’au danger, à une échéance qui va au-delà de leur temps de responsabilité :

" Après nous, le déluge, réflexion politique, mais pas scientifique ".

Et si la température montait, elle ferait de la FRANCE un eldorado méditerranéen, comme la Mitidja Algérienne était qualifiée de " jardin de la France " et comme l’Andalousie Espagnole produit légumes et fruits à toute l’Europe (avec beaucoup de soleil et TROP PEU d’eau). Cassandres et augures de tous bords, cessez votre chantage au désastre..

Madame Michu n’était qu’ moitié satisfaite de cette diatribe. Si elle allait pouvoir franchir sans encombre la membrane mythique de l’Effet de Serre pour retrouver son défunt mari, elle souffrait de la chaleur ambiante. On n’avait jamais vu cela. Et tous ces vieux qui étaient morts pendant la canicule de 2003 ? C’est bien une réalité, et à notre âge... !

Qui vous fait croire, ma bonne Dame que c’est du jamais vu ?

Le temps de vulgariser le thermomètre de CELSIUS et GAY LUSSAC nous amène à la fin du 19e siècle. On écrivait à l’époque :

" Les savants n’ont pu, jusqu’à ce jour se mettre d’accord sur la question de savoir si, oui où non les climats d’Europe se REFROIDISSENT progressivement. D’ailleurs, la science météorologique n’existe vraiment que depuis un siècle, de telle sorte que les renseignements font défaut sur les périodes antérieures qu’il importerait de connaitre pour trancher la question ".

Une mission de forages dans l’Arctique a découvert dans la glace des plantes et des microfossiles montrant un climat subtropical vieux de 55 millions d’années. On s’extasia ! En tournant la tête, ces chercheurs auraient pu voir les mines de charbon du SPIETZBERG. Il a dû y faire chaud, le charbon provenant du carbone des arbres enfouis. Voilà dix siècles, du temps d’Eric le Rouge, GROENLAND voulait dire la " Terre Verte ". C’est notre époque qui est ANORMALEMENT FROIDE.

Alors, Madame MICHU, heureuse ?

Vous avez un compte dans une bonne banque, un réfrigérateur et un congélateur qui vous permettent de moduler la température de vos aliments. Les terriens des pays froids et ceux des pays chauds vous envient d’être au tiède.

Que faut-il de plus pour vous tranquilliser ?

UNE JEUNESSE ENGAGEE

RAOUL l’ingénu ne fut pendant la seconde guerre mondiale qu’une petite fourmi perdue dans l’immense fournaise. Ce n’était qu’un adolescent sans problème et sans calcul. Ce ne fut pas le cas des engagés dans une cause perdue, celle de l’amitié avec les vainqueurs de l’époque troublée, où leurs commensaux. Comment se retrouver une virginité patriotique quand on est civil menacé ? La résistance qui fut secrète, ouvre des portes que beaucoup ont franchies sans vergogne. L’ennui est que pour inventer une histoire, il faut une bonne imagination, mais aussi une connaissance des faits. Pierre PEAN, qui écrivit sous la dictée " UNE JEUNESSE FRANCAISE " a placé innocemment quelques chausse-trapes. Le héros en fut-il satisfait ?Non !

Situons d’abord les personnages principaux en Août 1943.

Charles De Gaulle :

Formé à St Cyr. Prisonnier évadé pendant la 1ère guerre 52 ans

Colonel devenu General par notoriété à Londres

Opposé au Maréchal Pétain. Autoritaire.

Henri Giraud :

Formé à St Cyr. Brillamment évadé pendant la 2ème guerre 64 ans

Général en chef envoyé en Afrique du Nord

Accord total avec le Marechal Pétain. Conciliant.

Henri Frenay :

Formé à St Cyr. Brillamment évadé pendant la 2ème guerre 38 ans

Capitaine d’active, résistant mais un temps en liaison

Avec Vichy. Responsable du mouvement prisonnier.

François Mitterrand :

Ex-étudiant en lettres. Evadé pendant la 2ème guerre 27 ans

Sergent-chef. Fonctionnaire depuis 17 mois a Vichy

S’occupe des prisonniers libérés et des étudiants.

Les événements de guerre internationaux provoquent de sévères turbulences dans le gouvernement de Vichy. Des places sont à prendre, mais l’avenir s’annonce dangereux.

Le double jeu permet l’échappatoire, mais c’est difficile à organiser pour les vichystes.

François Mitterrand, jeune homme, n’est pas le mieux rassuré, et cherche à se couvrir des deux côtés. A Vichy, c’est facile : la francisque, il l’à. De l’autre côté, c’est moins facile, quand on ne connaît pas toutes les procédures. Le plus simple comme pour beaucoup est de se forger une légende en n’en parlant qu’à bon escient. Choisissons déjà un nom de guerre qui sonne : " MORLAND ".

Voilà le résultat !

François Mitterand se rend, parait-il, à Londres le 16 Novembre 1943 pour réclamer de l’aide a ses " homologues " les Généraux de la France Libre. Il va prendre un avion près d’Angers. Avec des lampes torches, ils forment un T pour marquer le terrain. Ce n’est pas une lettre très pratique pour marquer les bords de piste d’un vol confidentiel de nuit. Ils montent à bord, le terrain n’est plus éclairé au sol ! Quel avion ? Le monomoteur Lysander où on entasse trois personnes, où le bimoteur Hudson? On ne sait pas et on n’en retrouve pas trace ! On sait cependant que le pilote français Henri Déricourt (36 ans) était " tamponné " (mot bureaucratique) par les Gestapistes " munis de jumelles spéciales pour voir la nuit et disposés autour du champ où l’avion allait se poser ". Les maquisards sont absents. Du beau roman.

A Londres il passe un débriefing puis rencontre le Colonel Buckmaster qui lui promet l’envoi de 60 containers d’armes a parachuter chez son ami Roger Pelat a St Laurent du Pont dans l’Isère. L’armée fantôme des prisonniers de guerre français sera bien équipée. Le 3 Décembre 1943, le Colonel Passy signe son ordre de mission pour rejoindre ALGER par avion. Depuis le 9 Novembre, la lutte de prééminence entre les deux grands Chefs de la France Libre est réglée. Les Généraux Georges et Giraud ont la maîtrise des armées qui débarqueront le 10 Décembre en Italie avec le Général Juin. Le Général De Gaulle conserve seul la représentation politique de la FRANCE.

François Mitterand rencontre, parait-il, le Général De Gaulle le 5 Décembre à Alger.

La brève entrevue se passe mal ! Outre la grande différence de génération et de formation militaire, un mixage politique proposé, incluant les communistes n’est guère apprécié. Ce que n’accepte pas non plus Henri Frenay, responsable réel des prisonniers, dont il deviendra ministre dans le gouvernement provisoire futur. Ces responsables de la guerre ont d’autres chats à fouetter.

François Mitterand est retenu dans son retour vers la France. D’abord à Marrakech chez Joséphine Baker (people !) qui lui trouve fin décembre une place dans l’avion du Général Montgomery. Il y a sans doute une erreur de Général. Montgomery est très occupé en Angleterre, dans la région de Plymouth pour préparer le débarquement du 6 Juin 1944, mais le Général Eisenhower quitte Alger pour Londres le 24 Décembre 1943. C’est peut-être meilleur ! Marrakech-Alger, c’est facile pour qui ne connaît pas l’Afrique du Nord (?).

A Londres, François Mitterrand piétine encore jusqu’au soir du 24 Février 1944.

Les Anglais lui ont enfin trouvé un embarquement sur une vedette de la Royal Navy a Dartmouth dont le " pacha " est David, le père de Jane Birkin. (People). Quelle chance. Il n’a pas vu les américains si nombreux qui préparent le débarquement du 6 Juin dans le Dartmoor justement, et les Allemands concentrés sur le Cotentin avec leur aviation et leurs nouveaux radars prêts à faire face, n’ont rien vu non plus. C’est un rescapé.

C’est ensuite la période des amours et avec son copain Roger Pelat : ils rencontrent les Demoiselles Gouze, filles d’instituteurs farouchement républicains Se fait-on ensemble photographier aux studios Harcourt, l’un des meilleurs de Paris ? (C’est la couverture du livre " Une Jeunesse française "par Pierre Pean). Cependant, la conspiration continue activement pour organiser le réseau d’animateurs.

On retrouve François Mitterand le 18 Aout 1944 à Paris attaquant le Commissariat général aux prisonniers de Vichy, rue Meyerber. C’est son fait d’armes, le premier sans doute, et il chasse Robert Moreau (francisqué aussi) de son bureau. Brillante victoire sur un compère !

Le 24 Août, avec son ami, le tout nouveau " Colonel " Patrice-Roger Pelat, il est intronisé ministre où " Président du Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés ".

Les bureaux du nouveau Président sont toujours au même endroit : rue Meyerber.

Le 25 Août à l’Hotel de Ville, le Général reçoit les chefs de la résistance intérieure. " Morland " est là, et sauve même le Général qui, dans l’enthousiasme général, basculait du balcon ( ?).

Le 27 Août au Ministère de la Guerre, il rencontre De Gaulle pour la " troisième fois " au premier Conseil de la France en partie libérée.

" Encore là !!!!! " s’écrit le Général.

François Mitterand vient d’être adoubé. Avec cet éperon d’or il a le pied a l’étrier d’un beau destrier fougueux : la politique.

RAOUL L’INGENU a refermé doucement tous les livres qui racontent cette histoire, et ne sont pas toujours bien compris par les générations suivantes. Ayant connu cette époque troublée il porte témoignage, non a la légende mais à l’Histoire.

BOUM AU BELARUS

RAOUL, l’Ingénu a été largement irradié dans sa vie. Il ne s’en porte pas plus mal.
Les puits du manganèse étaient radioactifs. On a découvert un gisement à proximité. Les phosphates sont très radioactifs. On identifiait leurs limites au gammamètre. Il connait bien toutes les mines d’uranium en France, (le Forez, la Crouzille, la Vendée) et d’autres dans le monde (Arlit, Mounana, Fort Johnson).

Le nuage radioactif qui aurait balayé dangereusement la FRANCE est un leurre médiatique. Si sur place, les conséquences sont limitées, comment, après une course de trois mille kilomètres où elles ont perdu leur activité, et se sont volatilisées comme les nuages, auraient-elles eu des conséquences dramatiques sur la santé chez nous? Il faut raison garder. Dans les terrains primaires, les mesures sont souvent positives et dans les massifs hercyniens de Bretagne, du massif central, des Vosges, etc...Les champignons sont naturellement collecteurs de radioactivité. N’en mangez plus, envoyez les moi !

RAOUL, L’INGENU, ancien chercheur, parle librement de radioactivité

TCHERNOBYL, la centrale atomique maudite explosée, enterrée sous un sarcophage.

Que n’a t’on entendu ?

Les Russes aiment tenter la roulette dite russe, qui met leur vie en péril. C’est bien connu.

Là, leur revolver à barillet avec une cartouche sur six, à, hélas, fonctionné. En fermant toutes les vannes du circuit de vapeur d’eau surchauffée qui alimente les turbines (raté de conception), l’un des réacteurs a explosé. Ce n’est pas une explosion nucléaire et chaque ménagère peut faire de même, en bloquant le clapet de sécurité de sa cocotte-minute. Tous les circuits, ces entrailles, pourtant bien sécurisées (cadres anti-fouettement) ont volé en éclats, libérant leur vapeur d’eau chaude mêlée aux composants atomiques mis à vif.

C’est le fameux nuage de TCHERNOBYL qui franchissait les frontières, dont la notre.

Que n’a t’on dit de ce nuage radioactif, puisé au gré des vents qui polluaient jusqu’à nos amateurs de champignons !

Il fallait refroidir à la base, cette grande colonne de vapeur brûlante et les brandons atomiques qui l’alimentaient. De courageux pilotes d’hélicoptères noyèrent les débris sous les gravats. Puis, on enferma le tout hâtivement et sous risques et périls des intervenants, on bâtit un hangar, non un sarcophage, évidemment de mauvaise qualité, qui a mal tenu dans le temps.

25 ans, bientôt depuis le 26 Avril 1986, date de la catastrophe.

Beaucoup de spécialistes ont tenté de faire le bilan de l’accident.

En Novembre 2005, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) conclut les travaux de centaines de scientifiques, d’économistes et de spécialistes de la Santé, par un rapport dérangeant :

" .... à la fin du premier semestre 2005, moins d’une cinquantaine de décès avait été attribuée directement à cette catastrophe. Pratiquement, tous étaient des membres des équipes de sauvetage qui avaient été exposés à des doses très élevées. Ils sont morts dans les mois qui ont suivi l’accident, mais l’ensemble des autres a survécu jusqu’en 2004.

" ... jusqu’à 4.000 personnes, au total, pourraient à terme décéder des suites d’une radio-exposition consécutive à l’accident ; telles sont les conclusions en 2005 ".

Ces quatre mille cas de cancer de la thyroïde, essentiellement chez des enfants et des adolescents, au moment de l’accident, sont imputables à la contamination résultant de l’accident et 9 enfants en sont morts. Toutefois, à en juger par l’expérience du BELARUS (province du), le taux de survie parmi les patients atteints de ce type de cancer, atteint presque 99%.

Les cancers de la thyroïde, comme les goitres, se traitent facilement par l’iode naturel, qui contrarie l’iode 131, radioactif. Cette ingestion doit être rapide pour sauver, ce qui a été fait. Sur les plus de 200.000 travailleurs affectés aux équipes où chargés d’assurer le retour à la normale, en 1986 et 1987, 2.200 (sur les 4.000 positifs) selon les estimations, pourraient décéder (donc après 2005) des suites d’une radio-exposition. Ils ont donc été, jusqu’ici en survie de longue durée, ce qui implique une inquiétude latente.

La pauvreté, les maladies liées au " mode de vie alcoolisée) qui se généralisent dans l’ex-Union Soviétique et les troubles mentaux, constituent, pour les populations locales une menace beaucoup plus grave que l’exposition aux rayonnements. Dans la plupart des zones, les problèmes sont économiques et psychologiques, pas sanitaires ni environnementaux, déclare le Secrétaire scientifique du forum d’analyses.

Mais, pourquoi une telle différence entre la réalité, et la catastrophe humaine, annoncée par les augures depuis 1986 ?

Disons d’abord que les documents circulants proviennent de deux sources :

- les rapports de l’ONU et de ses différentes agences, notamment l’OMS, l’Agence internationale de l’Energie Atomique, le Comité Scientifique des Nations Unies sur les effets des rayonnements atomiques, sont d’accord : sur les deux millions de jeunes exposés aux retombées radioactives, on avait démontré en Janvier 2006 environ 4.000 cancers de la thyroïde dont plus de 80% sont apparus sur des enfants qui avaient moins de 5 ans au moment de la catastrophe. Heureusement, la guérison est jugée facile, curable à plus de 90% et l’on comptait, en Janvier 2006 : 9 morts d’enfants. D’autres surviendront, mais les équipes médicales qui soignent ces malades, sont compétentes et l’on augure à terme 900 cas de décès à envisager.

Ensuite, les sujets affectés aux risques :

- les individus ayant été évacués des zones contaminées, et rassemblés dans des camps où les conditions de vie sont médiocres,

- les anciens " liquidateurs ", c’est à dire 600.000 personnes ayant approché où travaillé sur le site

- les agriculteurs refusant d’être évacués, pour rester dans leur cadre de vie paysanne

Tous ces gens sont soumis à des visites médicales plusieurs fois par an et sont surinformés des risques. Il n’est pas surprenant qu’on observe chez eux des troublespsychiques et psychosomatiques qui peuvent aller jusqu’à des dépressions où des suicides. La natalité a aussi été contrariée par la crainte d’enfants anormaux, qui n’est pas justifiée par un taux anormal de cas constatés.

De plus, il existe une pathologie des camps, liée au manque d’hygiène, à la surpopulation et à l’inactivité, qui est source de consommation excessive d’alcool, de tensions et de conflits. Ces personnes présentent des troubles digestifs, cardiovasculaires et psychosomatiques.

Enfin, les citoyens de l’Occident doivent redouter la désinformation des medias par des groupes ayant intérêt à farder la vérité. Le Etats et les organismes internationaux comptent parmi eux des pronucléaires, mais aussi des antinucléaires très richement dotés : leurs grandes ressources financières sont mal identifiées, mais l’énergie nucléaire contrarie les productions de pétrole et de charbon et les industries connexes.

D’autre part, en UKRAINE et en BIELORUSSIE, des Associations de victimes vivent de la charité des pays Occidentaux, et n’ont pas intérêt à diminuer l’impact de compassion sur les populations.

Voilà expliquées les incidences limitées de cette catastrophe.

Accueillez chez vous des " enfants Tchernobyl ". Ce sera une bonne action pour des enfants généralement bien protégés par leur administration..

Ce texte a été établi sur les documents de :

- Professeur H. POURQUIER, ancien responsable du service de radiothérapie Clre

- Professeur J.C. ARTHUS, chef du service de médecine nucléaire Clre.

Publié dans une revue médicale.

BOUM BOUM A TOULOUSE

L’affaire AZF, une catastrophe, a fait l’objet d’un premier jugement récusé.

Personne n’en est sorti satisfait, les incohérences des experts désignés ayant provoqué un deuxième jugement attendu,. RAOUL, l’Ingénu apporte depuis le début son point de vue constant : ce n’est pas un accident, mais un attentat, qui a dépassé les espérances de l’initiateur en provoquant un coup de poussier supersonique imprévisible.

En se basant, comme d’autres, sur son expérience minière il présente un scenario dont il affirme la véracité

Le nitrate d’ammonium est l’engrais le plus employé au monde....comme EXPLOSIF, soit 85% des explosifs utilisés dans les mines en découverte, et les carrières.

Dans la mine à ciel ouvert (l’Office Chérifien des Phosphates (OCP), nous en utilisions plus de 2.000 tonnes par an, soit le chargement de 100 camions lourds. C’est un explosif sécurisant, sans danger et bon marché.

Les industriels fabricants ne pouvaient donc ignorer la destination comme explosif du nitrate d’ammonium, le produit commercialisable qui répondait à leur vocation d’usiniers. Nous n’étions donc qu’un bon client, parmi d’autres de cette grosse industrie. (Par sécurité un engrais moins poreux est fourni maintenant aux paysans, c’est l’ammonitrate).

Disons tout d’abord que cette fabrication à risque théorique important a été abandonnée sur la plate-forme de CARLING, complexe chimique de feu les Houillères de Lorraine. Ils préféraient acheter ce produit, par un accord avec Atofina-AZF.

Le personnel était-il aussi bien informé que ses dirigeants du risque induit dans cet engrais utilisé comme explosif ? On peut en douter, étant donné les divergences d’explication de l’accident. Sous cette réserve, on appliquait, sans doute sévèrement les directives SEVEZO 2 dans cette usine chimique fabriquant des " fertilisants ".

Chez AZF on était confiant dans la sécurité. La production correspondait à un savoir-faire ; ne l’a t’on négligé par routine ? Probablement.

Nous ne doutons pas que l’organisation de l’usine répondait à des règles de sécurité draconiennes, mais la routine a laissé échapper le point final du traitement que l’on appelle le REFUS. C’était le " maillon faible ".

Ce REFUS est issu du triage entre produit " affiné, conforme et commercialisable " et les éléments fins où granulés plus grossiers ne passant pas au tamisage.

Ces POUSSIERES et GRANULES constituaient un sous-produit dont le tonnage était notable et transitaient dans un stock-tampon, le hangar 221 où de nombreux camions diesel le reprenaient pour d’autres usines.

Tous les boutefeux et leurs assistants, connaissent cet explosif, utilisé dans le monde. Les malfaisants aussi, pour terroriser et même les paysans s’en servent pour dessoucher. Cela fait beaucoup d’initiés, même élémentaires.

C’est quoi, le nitrate-fuel ? Un mélange de l’engrais poreux, mouillé avec un peu de gas-oil. On l’appelle aussi ANFO (Ammonium Nitrate Fuel-Oil). La recette n’est pas mystérieuse : le pourcentage du carburant de 6% est largement diffusé. Cette pate n’est pas encore dangereuse. Il faudra l’amorcer avec un explosif classique : le booster (où bouster) pour provoquer la détonation : tolamite, titanite, nitratite (sic) sont les plus courants. Une demi-cartouche suffit, soit 200 à 400grammes. Ajoutez un détonateur, gros comme une cigarette et un mètre de mèche lente. Ah, j’oubliais ; un briquet où une allumette de mise à feu de la mèche. Cet arsenal tient dans une poche et pèse au total moins de 500 grammes.

Quelle difficulté auriez vous pour arroser le tas de nitrate avec du gas-oil, sur une plate-forme de chargement où circulent de nombreux camions " diesel ". Aucune !

Chaque camion a sa réserve de sécurité en jerrycan. Il est facile d’en soustraire un.

Avec un jerrycan de 20 litres de gas-oil vous mouillez 300 kilos du tas de REFUS. Avec le simple petit arsenal cité plus haut, l’opération est garantie à 100¨.

Vous avez réussi votre coup et vous vous sauvez, avant l’explosion, SAUF......

Ceci étant expliqué, arrivons au point où une colonne de poussières et de granulats s’est pulvérisée en l’air sous la PREMIERE EXPLOSION et arrivons à la suite imprévue. Une deuxième explosion va se produire.

C’est le phénomène bien connu dans les mines de charbon et les silos à grains, provoquant des catastrophes passées, que l’on redoute depuis.

Les poussières de charbon sont combustibles, évidemment. La catastrophe de COURRIERES qui fit 1.100 morts est restée dans l’esprit mineur. RAOUL, l’ingénu est de cette famille et connait les précautions prises.

Les poussières de céréales dans les silos à grains semblent anodines, mais sont aussi combustibles, ce qui est moins évident. C’est un phénomène de dilution dans l’oxygène de l’air à une valeur donnée (comme les explosions de gaz) avec, comme toujours l’amorçage par étincelle. A METZ : 12 morts, à BOURGES : 1 mort, à BLAYE : 11 morts.

Le nitrate d’ammonium est-il combustible ? OUI.

D’abord, constatons comme Gribouille que c’est un explosif ; par son ion AMMONIAC il a une plage d’explosivité de 16 à 25% en volume dans l’air. Même, s’il n’est pas classé comme gaz inflammable (terme du système d’information sur les matières dangereuses), son potentiel d’inflammabilité n’est que légèrement inférieur à celui de certains gaz qui répondent aux critères d’inflammabilité.

L’acide nitrique (où azotique) est ininflammable. Cependant, il réagit violemment jusqu’à l’inflammation où l’explosion, avec de nombreux composés, tant organiques que minéraux ainsi qu’avec des matières combustibles.

Ceci étant expliqué, nous arrivons au point où une colonne de nitrate d’ammonium s’est pulvérisée dans l’air sous la poussée de la PREMIERE EXPLOSION du tas, et nous arrivons aux conditions de la SECONDE EXPLOSION, totalement imprévue par l’initiateur.

Fondamentalement, l’explosion est toujours amorcée par une étincelle.

Dans une usine où l’ampérage est un peu surdimensionné pour éviter les déclanchements intempestifs, les courts-circuits provoqués par la première explosion n’on pas manqué. L’état des transformateurs et câbles électriques l’illustrent ; ils ont fondu avant de rompre et disjoncter.

La DEUXIEME DETONATION s’est donc produite dans l’air, dans le nuage des poussières soulevées. Une onde de choc supersonique a provoqué le désastre. Sa puissance, en prenant en réaction appui sur le sol, a ouvert un large cratère. Elle s’est produite en hauteur et s’est propagée très loin. Les deux explosions furent consécutives à très faible intervalle de quelques secondes ; c’est pourquoi une scientifique a cru à un écho transmis entre air et sol, infirmant la différence de réception auditive de tous les témoins du drame.

Le procès attendu en appel va-t’il tenir compte de cette cinétique et enfin apporter une explication objective à cette catastrophe. INERIS, par exemple, dispose d’ingénieurs sensibles à ces analyses et a les moyens de les expérimenter.

 

Certains prétendent que la première explosion serait simplement due au mélange accidentel, par un ouvrier, de deux produits chimiques incompatibles. La démonstration de cette faute et de ses conséquences parait difficilement acceptable. Ce sera un élément important du prochain jugement.

 

En guise de conclusion :

La génération spontanée a été acceptée pendant longtemps, avant que Louis Pasteur explique.

Des immondices, jaillissaient normalement des souris, et quand on les autopsiait, les résidus d’immondices de leurs viscères, justifiaient bien la thèse. Crédulité, du dix-neuvième siècle !

Voilà la démonstration simple d’un tissu d’erreurs d’interprétation.

La connaissance des conditions de l’explosion du nitrate d’ammonium tel quel, montre qu’elle n’est pas spontanée, ni généralisée. Elle ne se produit que dans des conditions parfaitement identifiées, connues de notre longue expérience. Cet engrais tel quel, n’explose pas par sympathie, où démontrez le, avant de constituer savamment votre Xème gâteau, enfin explosant, après un savant dosage qui vous apporte une prétendue certitude. Cette certitude n’est même pas étayée par les trois essais habituels, dont deux de même sens, qui appuient toujours l’argumentation expérimentale. Revoyez votre copie. La justice le demande.

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Henri BRILET

L’ INGENU QUI ROULA

 

Henri BRILET est RAOUL LETHUAIRE

RAOUL LETHUAIRE est Henri BRILET

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  • Toute une vie merveilleuse racontée par Henri Brilet, l'avant guerre, la guerre et ensuite l' Ecole des Mines, l' Afrique, chercheur d'or, ses voyages et ses rencontres sur tous les continents. Aujourd'hui, toujours bon vivant et vif d'esprit. Un exemple
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